Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/218

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il avec un peu d’émotion, qu’il faut prendre la viande, et non par la force. »

Ils revinrent au logis après avoir acheté des œufs, de la farine, et autres accessoires ; Tom s’installa gravement à écrire à un bout de la table du salon, tandis que Ruth s’apprêtait à faire son pouding à l’autre bout : car il n’y avait dans la maison qu’une vieille femme (le propriétaire était une espèce d’homme mystérieux, qui sortait le matin de bonne heure et qu’on ne voyait presque jamais) ; et, à part les gros ouvrages, le frère et la sœur faisaient eux-mêmes le service de leur ménage.

« Qu’écrivez-vous, Tom ? demanda Ruth en lui posant la main sur l’épaule.

– C’est que, voyez-vous, ma chère, dit Tom (et il se rejeta en arrière pour la regarder), je suis très-désireux de me procurer quelque emploi convenable ; et, avant que M. Westlock vienne cette après-midi, je crois que je ne ferais pas mal de préparer une petite description de ma personne et de mes capacités, pour qu’il puisse la montrer à ses amis.

– Vous devriez en faire autant pour moi, Tom, dit sa sœur en baissant les yeux ; j’aimerais par-dessus tout à tenir votre ménage et à m’occuper de vous toujours, Tom ; mais nous ne sommes pas assez riches pour cela.

– Nous ne sommes pas riches, répondit le frère, c’est vrai, et il peut se faire que nous soyons bien plus pauvres encore. Mais nous ne nous séparerons pas, si c’est possible. Non, non ; il faut nous décider. Ruth, à lutter de concert jusqu’au bout, à moins que nous n’ayons une bien mauvaise chance, et qu’il ne me soit démontré que vous seriez moins malheureuse loin de moi. Je suis convaincu que nous serons plus heureux si nous pouvons lutter de concert. Ne le croyez-vous pas aussi ?

– Si je le crois, Tom !

– Allons, allons ! dit-il tendrement, il ne faut pas pleurer.

– Non, non, Tom, je ne pleurerai pas. Mais vous n’avez pas le moyen, Tom, vous n’avez pas le moyen.

– Nous ne savons pas, dit Tom ; comment pouvons-nous savoir avant d’avoir essayé ? Le bon Dieu nous bénisse ! et il devint sublime d’énergie. Nous ne savons pas ce qui peut nous arriver en essayant avec courage. Je suis bien sûr que nous pourrions vivre contents de très-peu de chose, pourvu que nous eussions ce peu de chose.

– Oui, j’en suis bien sûre aussi, Tom.