Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/220

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étaient indispensables à la fabrication du pouding, et qu’il serait manqué sans cela.

Malgré les plus vaillants efforts, Tom, après avoir écrit : « Un jeune homme recommandable, âgé de trente-cinq ans, » se trouva dans l’impossibilité d’aller plus loin ; sa sœur avait beau faire semblant d’être extraordinairement tranquille, et de marcher sur la pointe des pieds dans la crainte de le déranger, cette précaution ne servait qu’à le distraire encore davantage en attirant son attention sur elle.

« Tom, dit-elle enfin toute radieuse, Tom !

– Qu’y a-t-il ? demanda Tom, répétant entre ses dents : « Âgé de trente-cinq ans. »

– Venez donc regarder ici un moment, s’il vous plaît ! »

Comme s’il avait fait autre chose que de la regarder tout le temps !

« Je vais commencer, Tom. Vous ne comprenez pas pourquoi j’enduis de beurre l’intérieur de la tourtière ? dit sa petite sœur toute affairée ; hein, Tom ?

– Pas plus que vous, je gage, répondit-il en riant, car je suis convaincu que vous n’en savez rien vous-même.

– Que vous êtes incrédule, Tom ! Comment supposez-vous qu’on puisse retirer le pouding de la tourtière quand il sera cuit, si je n’y mets du beurre ? Fi donc ! un ingénieur civil qui ne sait pas ces choses-là ! miséricorde, Tom ! »

Il n’y avait plus moyen de songer à écrire. Il ratura cette phrase : « Un jeune homme recommandable, âgé de trente-cinq ans, » et resta, la plume en main, à considérer sa sœur avec le plus affectueux des sourires.

Quelle petite femme active ! Comme elle faisait ses embarras ! Quels efforts merveilleux pour ne point rire, et surtout pour ne point paraître hésiter dans son œuvre ! Tom était dans le ravissement de la voir, avec ses sourcils froncés, ses lèvres roses serrées, manipuler la pâte, la rouler, la tailler, en garnir la tourtière et en rogner les bords ; puis hacher la viande, la poivrer, la saler, l’entasser dans le moule et y verser de l’eau froide pour faire de la sauce ; ne se hasardant jamais, pendant toutes ces opérations, à regarder du côté de Tom, dans la crainte de compromettre sa gravité. Enfin, quand le moule fut tout plein, et qu’il n’y manqua plus que la croûte qui devait le fermer, elle frappa l’une dans l’autre ses mains toutes couvertes de pâte et de farine, et partit franchement d’un éclat de rire si joyeux et si triomphant, que