Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/227

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Ils en parlèrent néanmoins, et ne parlèrent pas d’autre chose jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés à Austin Friars, où, au fond d’un corridor très-noir, au premier étage, sur le derrière, le long des plombs, ils découvrirent dans un coin de la maison une petite porte borgne, à panneau vitré, sur laquelle on avait peint en lettres énormes : M. FIPS. Il y avait près de la porte un vieux bahut qui se cachait dans l’ombre, nourrissant de coupables desseins contre les côtes des visiteurs, ainsi qu’un vieux paillasson usé au point de ressembler à un treillage, lequel, ne pouvant plus servir comme paillasson (en admettant qu’on eût pu le voir, ce qui était chose impossible), avait depuis de longues années dirigé ses capacités d’un autre côté, et faisait trébucher régulièrement tous les clients de M. Fips.

M. Fips, en entendant un choc violent produit par la rencontre d’une tête humaine et de la porte de son bureau, apprit, par ce signal accoutumé, que quelqu’un le demandait ; il fit entrer, en disant que le corridor était un peu obscur.

« Obscur, en effet, murmura John à l’oreille de Pinch. C’est ici qu’on pourrait facilement faire disparaître un provincial, Tom. »

La pensée qu’on les avait peut-être attirés dans ces parages pour fournir à la confection d’un pâté, s’était déjà présentée à l’esprit de Tom ; mais en apercevant M. Fips, petit homme maigre, à l’air fort pacifique, qui portait une culotte courte et de la poudre, ses craintes s’évanouirent.

« Entrez, » dit M. Fips.

Ils entrèrent dans un petit bureau qui paraissait très-malade de la jaunisse ; sur le plancher dans un coin s’étalait une large éclaboussure noire et informe : on eût dit que, bien des années auparavant, quelque vieux commis s’y était coupé la gorge, et qu’il y avait fait une mare d’encre avec son sang.

« Monsieur, je vous amène mon ami M. Pinch, dit John Westlock.

– Veuillez vous asseoir, » dit Fips.

Ils prirent les deux chaises, et M. Fips s’assit sur le tabouret de bureau, dont il tira un crin d’une longueur démesurée, qu’il mit dans sa bouche d’un air de grand appétit.

Il regarda Tom Pinch avec curiosité, mais avec une curiosité qui ne révélait certainement pas un intérêt inusité. Après un moment de silence, que M. Fips, s’il l’avait voulu, aurait facilement pu rompre plus tôt, car il semblait ne pas