Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/239

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Mais il arriva bientôt une circonstance qui contribua à détourner les pensées de Tom, même de ce mystère, et à leur donner un autre cours aussi embrouillé que celui du Nil même.

Voici comment les choses se passèrent. Tom avait toujours été matinal, et maintenant qu’il n’avait plus d’orgue avec lequel il pût s’épancher en doux entretiens tous les matins, il prit l’habitude de faire une longue promenade chaque jour avant de se rendre au Temple. Étranger à la ville, il était tout naturellement attiré vers les points où se concentrait le plus de vie et de mouvement, et il fréquentait de préférence les marchés, les ponts, les quais, et surtout les débarcadères des paquebots. Il aimait à voir la foule se presser à la poursuite des affaires ou des plaisirs, et c’était une satisfaction pour lui de penser qu’il y eût tant de variété et de liberté pour ceux qui étaient condamnés à la vie monotone et routinière des villes.

Dans presque toutes ces excursions, Ruth l’accompagnait. Leur propriétaire partait toujours de très-bonne heure pour aller à ses affaires (quelles qu’elles fussent, personne ne les connaissait), de sorte que les habitudes des gens chez lesquels ils logeaient correspondaient avec les leurs. Souvent ils avaient déjeuné et se trouvaient dehors à sept heures du matin. Après une promenade de deux heures, ils se séparaient ; Tom se dirigeait vers le Temple, et sa sœur revenait tout tranquillement à la maison.

Ils firent plus d’une promenade agréable dans le marché de Covent-Garden ; ils y respiraient le parfum des fruits et des fleurs ; ils s’émerveillaient de la beauté des ananas et des melons ; dans les avenues latérales ils apercevaient, assises sur des paniers renversés, des rangées infinies de vieilles femmes écossant des pois ; ils regardaient avec étonnement les grosses bottes d’asperges qui servaient de remparts à ces boutiques appétissantes ; devant les herboristes ils respiraient comme un fumet de farce de veau crue avec un soupçon mélangé de poivre long, de papier gris et de graines, sans oublier un léger arôme de colimaçons et de jolies petites sangsues recoquillées. Ils firent plus d’une promenade agréable dans les marchés à la volaille, où des canards et des poulets emmanchés d’un long cou étaient étalés, deux à deux, tout prêts à mettre en broche ; où l’on voyait des œufs mouchetés, rangés dans des paniers garnis de mousse ; des saucisses de