Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/240

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campagne blanches et dodues, où il n’entrait, quoi qu’on dise, ni chien, ni chat, ni cheval, ni âne ; d’innombrables fromages frais ; puis, dans des cages d’osier, des volatiles vivants emprisonnés, qui paraissaient beaucoup trop gros pour être naturels, par la raison que leurs récipients étaient beaucoup trop étroits ; des lapins morts ou vifs en nombre illimité. Ils firent plus d’une promenade agréable dans les marchés au poisson, parmi les étalages frais, humides et argentés comme un reflet de clair de lune, excepté pourtant les homards rubiconds. Ils firent plus d’une promenade agréable au milieu des charrettes remplies de foin odoriférant, sous lesquelles chiens et charretiers dormaient profondément, oubliant le traiteur ambulant de la taverne. Mais aucune de ces promenades ne valait celle qu’ils faisaient sur les quais, parmi les paquebots, par une belle matinée d’été.


Il fallait les voir, les paquebots, rangés là côte à côte, immobiles et fixes à jamais, selon toute apparence, quoique décidés à s’esquiver d’un côté ou d’un autre, et sûrs d’y réussir ; et dans cette confiance, des multitudes de passagers et des monceaux de bagages se pressaient confusément à bord. Il y avait une foule de ces petits vapeurs qui sillonnaient le fleuve en tous sens. Des rangées innombrables de vaisseaux, des forêts de mâts, des labyrinthes de cordages, des voiles roulées, des avirons bruyants, de lourdes barges ; des piles de maçonnerie submergées, où les rats se cachaient dans des trous fangeux ; des clochers, des entrepôts, des toits, des arches, des ponts, des hommes, des femmes, des enfants, des tonneaux, des grues, des caisses, des chevaux, des voitures, des badauds et des ouvriers : tout cela, par une belle matinée d’été, grouillait dans un effroyable chaos, que Tom était loin de pouvoir débrouiller.


Au milieu de tout ce tumulte, la cheminée de chaque paquebot faisait entendre des rugissements incessants, qui exprimaient et résumaient la bruyante émotion de cette scène. Tous ces paquebots semblaient suer sang et eau et se tracasser les uns et les autres, exactement comme leurs passagers ; avec leurs voix enrouées ils ne cessaient pas un instant de bougonner et de gronder, en disant, tout haletants, et sans points ni virgules :


« Venez donc dépêchez-vous je n’y tiens plus venez donc mon Dieu nous n’y serons jamais comme vous êtes en retard dépêchez-vous donc je vais partir venez donc ! »