Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rance contre les tigres est une idée qui vaut à elle seule toutes les mines du Pérou. »

David ne pouvait que répondre entre deux éclats de rire :

« Oh ! quel drôle de corps vous faites ! »

Et il continua de rire, de se tenir les côtes, de s’essuyer les yeux sans autre observation.

« Une idée excellente ! reprit Tigg, revenant au bout de quelques temps à la première remarque de son compagnon ; certainement que c’était une idée capitale : et cette idée-là m’appartient.

– Non, non, dit David, c’est à moi. Pas de ça : n’allez pas me voler cet honneur-là. Ne vous ai-je pas confié que j’avais mis de côté quelques livres sterling ?

– Oui, vous me l’avez dit, répliqua Tigg. Et moi, ne vous ai-je pas dit que je m’étais procuré quelques livres sterling de mon côté ?

– Assurément, répondit David avec chaleur ; mais l’idée n’est pas là. Qui est-ce qui a dit que, si nous mettions cet argent ensemble, nous pourrions monter un Office et faire un puff ?

– Et qui est-ce qui a dit, répliqua M. Tigg, que, si nous établissions la chose sur une échelle assez large, nous pourrions monter un Office et faire un puff sans apporter un sou ? Soyez donc raisonnable, calme et juste, et vous reconnaîtrez que l’idée vient de moi.

– En cela, avoua David à regret, vous aviez l’avantage sur moi, j’en conviens ; mais je ne me mets pas à votre niveau. Je ne réclame que ma part d’honneur dans notre invention commerciale.

– Vous avez tout l’honneur que vous méritez, dit Tigg. Vous vous acquittez admirablement de tout le menu travail de la société et de toutes les acquisitions de détail : plans, livres, circulaires, prospectus, plumes, encre et papier, cire et pains à cacheter. Vous êtes minutieux au premier degré ; je ne disputerai pas là-dessus ; mais quant au département de l’intelligence, David, au département de l’invention et de la poésie…

– Il vous appartient complètement, dit l’ami. Cela ne fait pas de doute ; mais avec le grand train que vous étalez, les riches objets dont vous vous entourez, avec la vie que vous menez, j’ose dire que c’est un département joliment confortable.