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— A-t-il atteint le but ? demanda Tigg. Est-il bien Anglo-Bengali ?

– Oui, dit David.

– Eussiez-vous pu entreprendre l’affaire par vous-même ?

– Non, dit David.

– Ah ! ah ! s’écria Tigg en riant. Alors contentez-vous donc de votre position et de vos profits, David, mon bon ami, et bénissez le jour où nous nous sommes connus au comptoir de notre oncle commun : car ç’a été pour vous un jour d’or. »

On a pu comprendre aisément, d’après la conversation de ces honnêtes industriels, qu’ils s’étaient embarqués dans une entreprise assez vaste, et qu’ils s’adressaient en toute sécurité à la masse du public, retranchés qu’ils étaient dans la position d’un homme qui a tout à gagner et rien à perdre ; et l’entreprise, fondée sur ce grand principe, marchait assez bien.

La Compagnie Anglo-Bengali de prêts sans intérêt et d’assurances sur la vie naquit un beau matin, non pas à l’état d’enfance, mais bien comme une société aussi grande que père et mère, qui marche sans assistance à grands pas, faisant des affaires à droite et à gauche. Elle avait une succursale au premier étage au-dessus d’un tailleur, dans une maison du West-End de Londres, et dans une rue neuve de la Cité de vastes bureaux embrassant la partie supérieure d’une maison spacieuse, toute resplendissante de stuc et de glaces, avec des stores de filigrane à chaque croisée offrant sur leur encadrement les mots : Anglo-Bengali. Sur le montant de la porte on avait peint également en grandes lettres : Bureaux de la Compagnie Anglo-Bengali de prêts sans intérêt et d’assurances sur la vie, et sur la porte était une grande plaque de cuivre avec la même inscription. Cette plaque, qu’on tenait toujours très-brillante comme une amorce alléchante, regardait effrontément les passants, après les heures de bureau les jours ouvrables, et tout le long de la journée les dimanches ; la banque n’avait l’air de rien auprès d’elle. Au dedans, les bureaux avaient été récemment recrépis, peint, revêtus de papiers, planchéiés, garnis de tables, de sièges, munis enfin de meubles aussi solides que coûteux, et destinés (comme la Compagnie) à durer éternellement. Et les affaires ! voyez ces livres de caisse à peau verte avec le dos rouge ; voyez les almanachs de la cour, les livres d’adresses, les agendas, les calendriers, les boîtes à lettres, les pèse-lettres, un étalage de seaux à in-