Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/245

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apostrophe, on voit bien que tu es l’invention d’un homme, rien qu’au peu d’égards que tu témoignes pour la faiblesse de notre sexe, brutal, va ! »

D’après la première partie des lamentations de mistress Gamp, on aurait assez naturellement supposé qu’elle faisait des affaires dans les chaises de poste ou les chevaux de relais. Quant à la fin, elle ne put en juger l’effet sur sa jeune compagne, car elle s’interrompit en ce moment pour s’écrier :

« La voilà ! c’est elle-même ! Pauvre innocente ! la voilà qui va comme un agneau au sacrifice ! Si elle est malade quand ce vaisseau-là sera en mer, dit mistress Gamp avec un accent prophétique, c’est un assassinat, et on peut me prendre pour témoin à charge. »

Elle parlait d’un ton si pénétré, que la sœur de Tom, aussi bonne que Tom lui-même, ne put s’empêcher de demander :

« Quelle est la dame qui vous inspire tant d’intérêt ?

– La voilà ! soupira mistress Gamp. La voilà là-bas ! Elle traverse en cet instant le petit pont de bois. Dieu ! son pied a glissé sur un morceau d’écorce d’orange ! (Mistress Gamp se cramponne à son parapluie.) Quelle secousse ça m’a donnée !

– Voulez-vous dire cette dame qui est avec un homme enveloppé de la tête aux pieds d’un grand manteau, de telle sorte que sa figure est presque cachée ?

– Il fait bien de la cacher ! répliqua mistress Gamp. Il a bien raison d’être honteux de ce qu’il fait. Avez-vous vu comme il lui a serré le poignet tout à l’heure ?

– En effet, il paraît brusque avec elle.

– Maintenant le voilà qui la fait descendre dans la cabine où l’on étouffe ! dit mistress Gamp avec impatience. À quoi pense donc cet homme ? Je crois qu’il a le diable au corps. Pourquoi ne la laisse-t-il pas au grand air ? »

Quelle que fût sa raison, il la fit descendre au plus tôt, et disparut lui-même sans détacher son manteau, et sans s’arrêter sur le pont encombré de passagers plus de temps qu’il n’en fallait pour se frayer un chemin jusqu’à la cabine.

Tom n’avait pas entendu ce petit dialogue, car son attention avait été détournée d’une façon inattendue. Au moment où mistress Gamp terminait sa harangue contre les machines à vapeur, il sentit une main se poser sur son bras. En se tournant à droite (Ruth était à sa gauche), il fut fort étonné de voir son propriétaire.

Ce qui lui parut surprenant, ce fut moins de trouver cet