Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/247

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en ce moment en laissant traîner derrière lui les plis d’un grand manteau ?

– C’est mon homme ! répliqua l’autre, qui néanmoins ne regardait pas ce que Tom lui indiquait, mais la figure de Tom lui-même. Voulez-vous me rendre un service, monsieur, un grand service ? Voulez-vous lui remettre cette lettre ? Il l’attend. Je suis chargé de la lui donner ; mais j’ai été longtemps à le trouver, et, n’étant plus aussi jeune qu’autrefois, je ne pourrais jamais arriver à bord et m’en revenir à temps. Voulez-vous excuser ma hardiesse, et me faire cette grande faveur ? »

Ses mains tremblaient, et sa figure exprimait la plus vive agitation, tandis qu’il donnait la lettre à Tom, et lui en indiquait la destination. Il avait l’air du Tentateur dans quelque antique sculpture.

Il n’était pas dans le caractère de Tom d’hésiter quand il s’agissait de rendre un bon office. Il prit la lettre ; il dit à Ruth d’attendre un instant jusqu’à ce qu’il revînt, et il descendit l’échelle en courant aussi vite que possible. Il y avait tant de gens qui descendaient, tant d’autres qui remontaient, tant de bagages qu’on transportait à bord, de cloches qui sonnaient, de vapeur qui s’échappait, de voix humaines qui criaient, que Tom eut beaucoup de peine à se frayer un chemin, et à se rappeler vers quel bateau il devait se diriger. Cependant il parvint promptement à celui qu’on lui avait indiqué, descendit immédiatement l’escalier de la cabine, et aperçut à l’autre bout du salon l’individu qu’il cherchait. Celui-ci tournait le dos et lisait un avis quelconque accroché au panneau. Tom avança pour lui donner la lettre ; le voyageur tressaillit en entendant un bruit de pas, et se retourna.

Quel fut l’étonnement de Tom en reconnaissant l’homme avec lequel il avait eu cette affaire dans la prairie, le mari de la pauvre Mercy… Jonas !

Tom crut comprendre qu’il lui disait : « Que diable me voulez-vous ? » Mais il n’était pas aisé de saisir ses paroles ; il parlait si indistinctement !

« Je ne vous veux rien pour mon compte, dit Tom ; on m’a prié, il y a un instant, de vous remettre cette lettre. On m’a seulement montré votre personne, mais je ne vous aurais pas reconnu dans ce singulier costume. »

Jonas prit la lettre, l’ouvrit, et en lut le contenu. C’était évidemment très-laconique ; une ligne, peut-être ; mais Jonas