Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/248

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parut frappé comme s’il eût reçu une pierre lancée par une fronde. Il recula en chancelant.

Son émotion ressemblait si peu à tout ce que Tom avait jamais vu, qu’il s’arrêta instantanément. La cloche ayant cessé de sonner, une voix enrouée cria du haut de l’escalier : « Y a-t-il quelqu’un qui désire retourner à terre ?

– Oui, cria Jonas, moi, moi, je viens. Donnez-moi le temps. Où donc est cette femme ? Revenez, revenez par ici. »

En parlant il ouvrit violemment la porte d’une autre cabine, et en tira brusquement sa femme. Elle était pâle, effrayée, et parut stupéfaite à la vue de son ancienne connaissance ; mais elle n’eut pas le temps de lui parler, car il se faisait un grand mouvement au-dessus, et Jonas l’entraîna rapidement vers la porte.

« Où allons-nous ? Qu’est-ce qu’il y a ?

– Nous nous en retournons, dit Jonas. J’ai changé d’avis. Je ne puis pas partir. Ne faites pas de questions, ou je vous tuerai, vous ou quelqu’un d’autre… Arrêtez, là-bas ! arrêtez ! Nous allons à terre. Entendez-vous ? nous allons à terre ! »

Il se retourna même, dans sa précipitation insensée, pour lancer un regard sinistre à Tom, et brandir son poing fermé. Il n’est pas beaucoup de figures humaines qui puissent avoir l’expression dont il accompagna ce geste.

Il monta l’escalier, traînant toujours sa femme, et Tom les suivit. À travers le pont, par-dessus le bord, le long de la planche vacillante jusqu’au haut de l’échelle, Jonas entraînait toujours sa femme avec fureur ; il ne lui adressait pas un regard, mais ses yeux cherchaient, tout le temps, parmi les figures assemblées sur le quai. Tout à coup il se retourna de nouveau, et dit à Tom avec une affreuse imprécation :

« Où est-il ? »

Avant que Tom, dans sa surprise et son indignation, pût répondre à une question qu’il comprenait si peu, un monsieur s’approcha par derrière et salua Jonas Chuzzlewit par son nom. Il avait la tournure d’un étranger, avec une moustache et des favoris noirs ; il s’adressa à Jonas d’un ton calme et poli qui contrastait étrangement avec l’air égaré et désespéré de l’autre.

« Chuzzlewit, mon bon ami ! dit le monsieur, et il toucha son chapeau par égard pour mistress Chuzzlewit, je vous demande mille pardons. C’est bien à contre-cœur que je vous prive de cette petite excursion conjugale (les excursions de ce