Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/264

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regarder le ciel. Puis quelques larges gouttes d’eau commencèrent à tomber, et le tonnerre gronda dans le lointain.

Jonas était assis dans un coin de la voiture avec la bouteille posée sur ses genoux, et il en serrait le goulot d’une main crispée, comme s’il eût voulu le pulvériser. Instinctivement fasciné par l’aspect de la nuit, il avait déposé le jeu de cartes sur le coussin à côté de lui ; et son compagnon, obéissant à un mouvement également indépendant de sa volonté, et si compréhensible pour tous deux qu’il n’attira pas la moindre observation de part ni d’autre, son compagnon avait éteint la lampe. Ils demeurèrent silencieux, regardant, à travers les glaces de devant qui étaient levées, le sombre spectacle qui se déroulait à leurs yeux.

Ils avaient laissé Londres derrière eux, c’est-à-dire qu’ils en étaient aussi éloignés que peuvent l’être, à un relais de cette ville immense, des voyageurs qui se dirigent sur la route de l’Ouest : de temps en temps ils rencontraient un piéton se hâtant de chercher un abri, ou quelque grande charrette avançant dans le même but au trot pesant de son cheval. Il y en avait d’autres groupées dans les cours et les remises des petites auberges le long de la route, tandis que leurs conducteurs étaient sur le pas de la porte à regarder le temps ou se divertissaient à l’intérieur. Partout les gens semblaient disposés à se tenir mutuellement compagnie plutôt que de rester seuls ; de sorte que, de presque toutes les maisons devant lesquelles ils passaient, des groupes de figures inquiètes paraissaient occupés à voir venir la nuit et les voyageurs en poste qui s’aventuraient sur la route.

Vous me direz qu’il n’y avait pas là de quoi contrarier Jonas et le mettre mal à l’aise ; eh bien ! pourtant, c’était comme ça. Après avoir grommelé entre ses dents et avoir souvent changé de position, il leva la glace de son côté, et tourna le dos avec humeur : tout cela sans regarder son compagnon et sans dire un mot pour rompre le silence qui régnait entre eux, et qui était venu si vite succéder à sa gaieté bruyante.

Le tonnerre grondait, les éclairs brillaient ; la pluie tombait à torrents, comme le courroux du ciel. Entourés tantôt d’une lumière éblouissante, tantôt d’une obscurité profonde, ils poursuivaient toujours leur route. Même en arrivant au relais où ils eussent pu attendre, ils ne s’arrêtèrent pas, et commandèrent des chevaux sur le champ. Les cinq minutes de calme trompeur qui, dans ce moment, firent espérer que