Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/265

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l’orage allait s’apaiser, n’étaient pour rien dans leur résolution. Ils continuaient leur route comme s’ils eussent été poussés par la furie de l’ouragan. Ils auraient fort bien pu se reposer en chemin ; mais, sans avoir échangé une douzaine de paroles, ils semblaient comprendre d’un commun accord qu’il fallait avancer quand même.

Le tonnerre grondait de plus en plus fort, comme s’il retentissait à travers les voûtes innombrables de quelque vaste temple dans les cieux ; les éclairs devenaient de plus en plus éblouissants et la pluie de plus en plus torrentielle. Les chevaux (il n’y en avait plus que deux), effrayés par les sillons de feu que les éclairs traçaient sur la route, se cabraient et lançaient des ruades ; cependant ces deux hommes avançaient toujours, comme attirés par un aimant invisible.

L’œil, participant de la rapidité des éclairs éblouissants, distinguait, à leur lueur passagère, une multitude d’objets qu’il n’aurait pu discerner en plein midi dans un intervalle de temps cinquante fois plus long : des cloches dans les clochers avec la corde et la poulie qui les mettaient en branle ; des nids abandonnés dans des recoins et des gouttières ; des figures toutes consternées dans les charrettes couvertes qui passaient au galop, et dont les attelages effrayés faisaient sonner un glas de grelots que le bruit de la foudre étouffait ; des herses et des charrues oubliées dans les champs ; des perspectives infinies de pays coupés de haies, dont les lointains rideaux d’arbres se dessinaient aussi nettement que l’épouvantail à moineaux dans le chanvre le plus rapproché. Pendant l’espace d’une seconde, une clarté à la fois incertaine, éclatante et capricieuse, rendait tous les objets clairs et distincts ; puis la lueur jaune se nuançait alternativement de rouge et de bleu ; puis une splendeur, si intense que tout semblait devenir lumière, précédait soudain l’obscurité la plus profonde.

Peut-être ces éclairs, avec leurs zigzags éblouissants, produisirent-ils ou contribuèrent-ils à produire une bizarre illusion d’optique qui s’offrit subitement aux yeux épouvantés de Montague, et qui disparut aussi rapidement. Il crut voir Jonas, la main levée, brandissant sa bouteille comme un marteau et se préparant à lui en asséner un coup sur la tête. Au même moment il observa, ou crut observer, sur le visage de son compagnon, une expression combinée de l’excitation surnaturelle qu’il avait fait paraître ce jour-là, et d’une haine sau-