Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/267

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Ce n’était pas vrai, et Jonas le lui dit tout net. Montague ne fit guère attention à ce qu’il lui disait ; mais il répéta que c’était une mauvaise nuit à passer sur les routes, et il montra, en ce moment comme plus tard, une inquiétude singulière.

Dès lors Jonas recouvra son enjouement, si l’on peut employer ce mot pour exprimer l’état d’esprit dans lequel il avait quitté Londres. Il approchait souvent la bouteille de ses lèvres ; il vociférait des fragments de chanson sans égard pour la mesure et la mélodie, en pressant son taciturne ami de s’amuser comme lui.

« Vous êtes d’une société charmante, mon bon ami, dit Montague avec effort, et, en général, je vous trouve irrésistible ; mais ce soir… Entendez-vous ?

– Pardieu ! si j’entends ! Je le vois bien aussi, s’écria Jonas en abritant un moment ses yeux contre la vive clarté des éclairs qui brillaient non pas d’un seul côté, mais tout autour d’eux. Qu’est-ce que ça dit ? Cela ne change rien, ni à vous, ni à moi, ni à nos affaires. Allons ! en chœur !

La foudre et l’ardent éclair
Peuvent arracher le ver
Au sol où dame Potence
Surgit dans son importance.
Mais ni la foudre des cieux
Ne réveille dans leur tombe
Les défunts silencieux ;
Ni l’éclair qui sur lui tombe
Ne peut sauver de la mort
L’homme jugé par le sort.

« Cette chanson-là doit être joliment vieille, ajouta Jonas avec un juron, et s’arrêtant comme étonné de lui-même. Je ne l’ai jamais entendue depuis mon enfance. Je ne sais pas ce qui a pu me la remettre dans la mémoire, à moins que ce ne soient les éclairs…

Ni la foudre des cieux
Ne réveille dans leur tombe
Les défunts silencieux…

« Non ! non ! …

Ni l’éclair qui sur lui tombe…

« Ah ! ah ! ah ! »

Sa gaieté avait quelque chose de si sauvage et de si extra-