Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/266

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vage et terrible qui eût rendu la société d’un loup moins effrayante que la sienne.

Montague poussa une exclamation involontaire et appela le postillon, qui arrêta sur-le-champ ses chevaux.

Il fallait qu’il se fût trompé, car il n’avait pas quitté Jonas des yeux ; il ne l’avait pas vu bouger, et pourtant Jonas était tranquillement couché dans son coin comme auparavant.

« Qu’avez-vous donc ? dit Jonas. Est-ce que c’est comme ça que vous vous éveillez d’habitude ?

– Je puis vous jurer, répliqua l’autre, que je n’ai pas fermé les yeux !

– Quand vous l’aurez juré, dit tranquillement Jonas, nous ferons bien de nous remettre en route, si ce n’est que pour cela que vous nous avez fait arrêter. »

Il déboucha la bouteille avec ses dents, la porta à ses lèvres et but à longs traits.

« Je voudrais bien que nous n’eussions pas entrepris ce voyage, dit Montague d’une voix qui trahissait son agitation, et en se reculant instinctivement. Mauvaise nuit à passer sur les routes !

– Parbleu ! vous avez raison, répliqua Jonas ; et pourtant, si nous y sommes, c’est grâce à vous. Si vous ne m’aviez pas fait attendre toute la journée, à l’heure qu’il est nous serions à Salisbury, dans un bon lit et profondément endormis. Qu’est-ce que nous attendons maintenant ? »

Montague mit un instant la tête à la portière et la rentra aussitôt en disant, comme si c’était là la cause de son inquiétude, que le domestique était mouillé jusqu’aux os.

« C’est bien fait ! dit Jonas. J’en suis content. Pourquoi diable nous arrêtons-nous donc ici ? Est-ce que vous allez l’étendre pour le faire sécher ?

– J’ai presque envie de le prendre avec nous, dit Montague avec un peu d’hésitation.

– Ah ! merci, dit Jonas. Nous n’avons pas besoin ici de garçons mouillés surtout d’un garnement comme celui-là. Laissez-le donc là où il est. Il n’a pas peur du tonnerre et des éclairs, lui, j’en suis bien sûr. En route ! postillon. À propos, nous ferions peut-être bien de prendre aussi le postillon avec nous, grommela-t-il en ricanant, et les chevaux par-dessus le marché.

– N’allez pas trop vite, cria Montague au postillon, et faites attention à ne pas nous casser le cou. Nous étions presque dans le fossé quand je vous ai appelé. »