Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/269

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À mesure que la nuit avançait, l’orage avait diminué ; mais on entendit encore au loin les grondements sourds et lugubres du tonnerre. Les éclairs aussi, bien que le danger fût passé, étaient encore vifs et fréquents. La pluie tombait toujours aussi fort.

Malheureusement pour eux, vers le point du jour, au dernier relais de leur voyage, on leur donna une paire de chevaux rétifs ; ces animaux, dans leur écurie, avaient été épouvantés par la tempête. Lorsqu’ils se trouvèrent dehors durant ce triste intervalle qui sépare la nuit du matin, à l’heure où la lumière du jour n’avait pas encore fait pâlir la clarté des éclairs, et où les objets se présentaient à leurs yeux sous des formes indistinctes et exagérées qu’ils n’auraient pas revêtues dans la nuit, ils devinrent petit à petit plus difficiles à maîtriser. Tout à coup, en descendant une côte escarpée, quelque chose les effraye, ils s’emportent et s’élancent éperdus ; le postillon est renversé de son siège sur la route ; la voiture est entraînée jusqu’au bord d’un fossé ; les chevaux s’y précipitent tête baissée, et la chaise de poste verse et se brise.

Les voyageurs avaient ouvert la portière, et, soit qu’ils eussent sauté, soit qu’ils eussent été lancés dehors, Jonas fut le premier à se relever. Il avait mal au cœur ; il était tout étourdi de sa chute ; à quelques pas de lui se trouvait la porte rustique qui fermait une prairie ; il s’y traîne en chancelant et s’y appuie ; tout le paysage semble flotter devant ses yeux alourdis. Mais peu à peu il reprend ses sens, et bientôt il voit Montague étendu sans connaissance, presque sous les pieds des chevaux.

En un instant son corps affaibli s’anime comme si un démon lui prêtait sa vigueur ; il court à la bride des chevaux, saisit les rênes et les tire de toutes ses forces. Les chevaux ruent et se débattent avec une violence qui, à chaque effort, rapproche davantage leurs pieds de la tête du malheureux étendu sur la route. Encore une demi-minute, et sa cervelle aura rejailli sur le grand chemin.

Jonas lutte avec les chevaux comme un possédé, et les excite encore par ses cris.

« Hue ! s’écrie-t-il. Hue ! encore ! un pas de plus ! encore un ! encore un ! Allons donc, démons ! Hue, hue ! »

Le postillon, qui s’était relevé, accourt en toute hâte et lui crie de s’arrêter ; mais la violence de Jonas ne fait que s’en accroître.