Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/270

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« Hue donc ! vocifère-t-il.

— Au nom du ciel ! s’écrie le postillon. Ce monsieur… sur la route… vous allez le faire tuer ! »

Pour toute réponse, les mêmes cris et les mêmes efforts. Alors cet homme, s’élançant, au péril de ses jours, pour sauver ceux de Montague, le saisit, le traîne à travers la boue et les ornières, et le met à l’abri du danger présent. Cela fait, il court vers Jonas, et, avec l’aide de son couteau, il a bientôt dégagé les chevaux qui se retrouvent enfin sur pied, écorchés et ensanglantés.

Le postillon et Jonas se regardèrent alors à loisir, ce qu’ils n’avaient pas encore eu le temps de faire.

« De la présence d’esprit, de la présence d’esprit ! s’écria Jonas en agitant ses bras comme un forcené. Qu’auriez-vous fait sans moi ?

— Ma foi ! sans moi, je ne sais pas trop ce qu’aurait fait cet autre monsieur, répondit l’homme en hochant la tête. Vous auriez dû commencer par l’ôter de là. Je l’ai bien cru perdu.

— Présence d’esprit, oiseau de mauvais augure, présence d’esprit ! s’écria Jonas avec un éclat de rire discordant. Pensez-vous qu’il ait reçu quelque coup de pied ? »

Ils retournèrent près de lui pour s’en assurer. En le voyant assis sous une haie, promenant ses regards effarés tout autour de lui, Jonas grommela quelque chose entre ses dents.

« Qu’est-ce que c’est ? demanda Montague. Y a-t-il quelqu’un de blessé ?

— Ma foi ! dit Jonas, il paraît que non. Tant de tués que de blessés, il n’y a personne de mort. »

Ils soulevèrent Montague, qui essaya de marcher. La secousse avait été violente et il tremblait beaucoup ; mais, à part quelques égratignures et quelques contusions, il n’était pas autrement endommagé.

« Des égratignures et des bosses, hein ? dit Jonas. Nous en avons tous. Rien que des égratignures et des bosses, hein ?

— Quoique monsieur n’ait que des égratignures et des bosses, quelques secondes de plus, et je n’aurais pas donné deux sous de sa tête, dit le postillon. Si jamais vous vous trouvez en pareille passe, monsieur (ce que je ne vous souhaite pas), ne vous avisez pas de tirer la bride d’un cheval abattu quand la tête d’un homme se trouve sur son chemin. On ne fait pas cela deux fois sans qu’il y ait un mort dans l’affaire, et c’est