Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/282

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dant tranquillement comme si c’eût été une tranche de pain grillée.

– Où ? répéta Martin. Croyez-vous, par hasard, que je vais rester ici ? »

L’imperturbable Mark avoua qu’il le croyait.

« En vérité ! repartit Martin avec colère. Je vous suis bien obligé ! Pour qui me prenez-vous ?

– Je vous prends pour ce que vous êtes, monsieur, dit Mark ; et par conséquent je suis bien sûr que, quoi que vous fassiez, ce sera toujours raisonnable et bien fait. Voici la botte, monsieur. »

Martin, sans la prendre, lança à Mark un regard d’impatience, et se mit à arpenter rapidement la cuisine avec une botte à un pied et un bas à l’autre. Mais il n’avait pas oublié ses résolutions de l’Éden ; il avait déjà gagné plus d’une victoire sur lui-même, surtout quand Mark était intéressé dans la question, et il résolut de se vaincre encore cette fois. Il se rapprocha donc du tire-bottes, appuya la main sur l’épaule de son ami pour se donner un point d’appui, retira sa botte, ramassa ses pantoufles, les remit, et s’assit de nouveau. Il ne put s’empêcher néanmoins d’enfoncer les mains jusqu’au fond de ses goussets et de grommeler par moments :

« Et un Pecksniff encore ! Ce misérable-là ! Sur mon âme ! en vérité ! il ne manquait plus que ça ! »

Il ne put s’empêcher non plus de montrer les poings à la cheminée de temps à autre avec une expression menaçante. Mais tout cela ne dura pas longtemps, et il écouta Mme Lupin jusqu’au bout, sinon avec calme, du moins en silence.

« Quant à M. Pecksniff lui-même, ajouta l’hôtesse en terminant son récit (et elle étala sa jupe des deux mains en hochant bien des fois la tête), quant à M. Pecksniff lui-même, je ne sais qu’en dire. Il faut que quelqu’un ait empoisonné son esprit, ou bien l’ait influencé d’une manière extraordinaire. Je ne puis pas croire qu’un monsieur qui parle si noblement puisse si mal agir de son plein gré. »

Un monsieur qui parle si noblement ! Combien y a-t-il de gens en ce monde qui n’auraient pas de meilleure raison à donner pour soutenir jusqu’au bout leurs Pecksniffs, et pour abandonner des hommes vertueux quand les Pecksniffs soufflent sur eux leur venin !

« Quant à M. Pinch, poursuivit la maîtresse d’auberge, s’il y eut jamais une chère âme, bonne, aimable et digne, son nom