Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est Pinch, soyez-en sûrs. Mais comment savons-nous si le vieux M. Chuzzlewit lui-même n’a pas été la cause de la dispute qui s’est élevée entre lui et M. Pecksniff ? Il n’y a qu’eux qui puissent le savoir, car M. Pinch est fier, quoiqu’il ait des manières si douces ; et, quand il nous a quittés et qu’il avait tant de chagrin, il a dédaigné de raconter les choses à son avantage, même à moi.

– Pauvre vieux Tom ! dit Martin d’un ton qui ressemblait à des remords.

– Heureusement, reprit l’hôtesse, qu’il a sa sœur auprès de lui et qu’il fait bien ses affaires. Pas plus tard qu’hier, il m’a renvoyé par la poste une petite… (ici le rouge lui monta au visage) une petite bagatelle que j’ai eu la hardiesse de lui prêter quand il est parti ; il me mande, avec force remercîments, qu’il a une bonne place et qu’il n’a pas besoin d’argent. C’est la même bank-note ; il n’y a seulement pas touché. Je n’aurais jamais cru que je puisse éprouver si peu de plaisir à voir revenir entre mes mains une bank-note.

– C’est là une bonne parole qui part du cœur, dit Martin. N’est-ce pas, Mark ?

– Elle ne peut rien dire qui ne soit comme ça, répondit M. Tapley ; ces qualités-là appartiennent au Dragon, tout comme sa licence[1] Et maintenant que nous sommes tout à fait reposés et de sang-froid, revenons à nos moutons, monsieur. Que comptez-vous faire ? Si vous n’êtes pas fier et que vous puissiez vous décider à accomplir ce dont vous parliez en route, c’est là votre meilleure ligne de conduite. Si vous aviez des torts envers votre grand-père quand vous êtes parti (et je crois que vous en aviez, excusez-moi si je prends la liberté de vous le dire), courage, monsieur, allez le lui dire, et faites appel à son affection. Pas de mauvaise honte ! Il est bien plus âgé que vous, et, s’il a été trop vif, vous avez été trop vif aussi. Cédez, monsieur, cédez. »

L’éloquence de M. Tapley ne fut pas sans effet sur Martin ; cependant il hésitait encore, et il expliqua ainsi la raison de cette hésitation :

« Tout cela est très-vrai et parfaitement juste, Mark ; et, s’il ne s’agissait que de m’humilier devant lui, je n’y regarderais pas à deux fois. Mais ne voyez-vous pas qu’étant entièrement

  1. En Angleterre, il faut une licence pour vendre la bière, les vins et les liqueurs alcooliques..