Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/313

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tout, comme d’habitude, excepté du bon côté ; et, s’il l’eût fait exprès, il n’aurait pu mettre plus d’obstination à ne pas les voir. Comme il était clair que, si on l’abandonnait à lui-même, il s’en retournerait ainsi chez lui, John Westlock s’élança pour l’arrêter.

Cette circonstance rendit l’approche de la pauvre petite Ruth toute seule, on ne peut plus embarrassante. D’une part, c’était Tom qui manifestait une surprise extrême (il n’avait pas de présence d’esprit dans les petites occasions, ce Tom) ; de l’autre, c’était John qui traitait la chose très-légèrement, mais qui donnait en même temps des explications chargées de détails plus que superflus. Et il fallait qu’elle s’avançât au-devant d’eux, sous leurs regards, avec la conscience qu’elle rougissait jusqu’au blanc des yeux, mais en essayant néanmoins d’élever ses sourcils d’un air insouciant, et de faire faire la moue à ses petites lèvres roses, avec un air d’indifférence et de sang-froid complet.

L’eau de la fontaine tombait, tombait toujours gaiement, jusqu’à ce que les fossettes de sa surface, se poussant les unes dans les autres, se soulevèrent en un sourire général qui couvrit toute la nappe du bassin.

« Quelle rencontre extraordinaire ! dit Tom. Je ne me fusse jamais attendu à vous trouver ici ensemble.

– C’est tout à fait accidentel, murmura John.

– Précisément, dit Tom, c’est ce que je veux dire. Si ce n’était pas accidentel, il n’y aurait plus rien d’extraordinaire.

– Bien sûr, dit John.

– C’est un si drôle d’endroit pour vous y être rencontrés ! poursuivit Tom, enchanté. Tout à fait un endroit perdu. »

John n’était pas précisément de cet avis. Au contraire, il trouvait que c’était un lieu très-propre aux rencontres. « J’y passe constamment, dit-il. Je ne serais pas étonné si nous nous y rencontrions encore. Tout ce qui m’étonne, c’est que nous ne nous y soyons pas rencontré plus tôt. »

Cependant Ruth avait fait le tour, et était allée de l’autre côté prendre le bras de son frère. Elle le pressait comme pour lui dire : « Est-ce que vous allez rester ici toute la journée, mon cher vieux nigaud de Tom ? »

Il répondit à cette pression du bras de sa sœur comme si c’eût été tout un discours.

« John, dit-il, si vous voulez offrir votre bras à ma sœur,