Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/322

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« Car, dit Tom, vous autres femmes, ma chère, vous êtes si bonnes, et dans votre beauté vous avez tant de tact ! Vous savez si bien être affectueuses et pleines de sollicitude sans en avoir l’air ! Vos sentiments sont comme votre toucher, si légers et délicats ! Les uns vous permettent de donner vos soins aux blessures de l’âme avec autant de tendresse que l’autre vous rend capables de soigner les blessures du corps. Vous êtes si…

– Mon Dieu ! Tom ! interrompit sa sœur, vous devriez d’après cela vous dépêcher de devenir amoureux. »

Tom écarta cette observation avec bonne humeur, mais avec gravité aussi ; et bientôt ils se remirent à jaser gaiement d’autre chose.

En passant par une rue de la Cité, non loin de la demeure de mistress Todgers, Ruth fit arrêter son frère devant la montre d’un grand magasin de tapissier-ébéniste, et elle attira son attention vers un meuble magnifique et très-ingénieux, qui y était exposé aussi favorablement que possible à l’admiration et à la convoitise du public. Tom avait hasardé une conjecture des plus erronées et des plus extravagantes quant au prix de l’article en question, et, de concert avec sa sœur, il riait cordialement de son erreur, quand tout à coup il serra le bras de Ruth et lui montra, à quelque distance, deux personnes arrêtées devant le même étalage et qui semblaient s’intéresser vivement aux commodes et aux tables.

« Chut ! dit-il tout bas. C’est miss Pecksniff et le jeune homme avec qui elle va se marier.

– Pourquoi a-t-il un air lugubre comme s’il allait se faire enterrer, Tom ? demanda la petite sœur.

– C’est qu’il est naturellement mélancolique, je crois, dit Tom ; mais il est très-poli et très-inoffensif.

– Je suppose qu’ils sont en train de se meubler, lui dit Ruth à l’oreille.

– Oui, je le suppose aussi, répondit Tom. Nous ferons aussi bien d’éviter de leur parler. »

Ils ne pouvaient toujours pas éviter de les regarder, d’autant plus qu’un embarras sur le trottoir les obligea de s’arrêter quelques instants auprès des deux fiancés. Miss Pecksniff avait tout à fait l’air de traîner son captif à la chaîne, et l’emmenait voir les meubles comme on conduit un agneau à l’abattoir. Il ne faisait aucune résistance ; il était au contraire parfaitement résigné et passif. Dans le mouvement languis-