Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/328

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment, entraînant sa sœur, et au même instant referma la porte d’entrée derrière lui ; il suivit donc, sans trop savoir s’il faisait bien ou mal.

« Merry, ma chérie ! dit la charmante miss Pecksniff, en ouvrant la porte du salon où l’on se tenait d’habitude, voici M. Pinch et sa sœur qui sont venus vous voir ! Je pensais bien vous trouver ici, mistress Todgers ! Comment vous portez-vous mistress Gamp ? Et comment allez-vous, monsieur Chuffey, quoiqu’il soit inutile de vous adresser cette question, je le sais bien ? »

Miss Charity accompagna chacune de ces salutations d’un sourire acide ; puis elle présenta M. Moddle.

« Je crois que vous l’avez déjà vu, lui dit-elle en plaisantant. Auguste, mon doux enfant, apportez-moi une chaise. »

Le doux enfant obéit ; et il allait se retirer dans un coin pour gémir en secret, lorsque miss Charity le nomma à demi-voix, mais de manière à être entendue de tout le monde, « son petit chou, » et lui donna la permission de s’asseoir à côté d’elle. Il est à espérer, dans l’intérêt de l’humanité, qu’on ne voie jamais un petit chou faisant aussi piteuse mine que M. Moddle, lorsqu’il obéit à cette permission. Son humeur était si sombre qu’il ne manifesta aucun transport, quand miss Pecksniff plaça sa blanche main dans la sienne, et cacha, aux yeux du vulgaire, cette marque de sa faveur sous un coin de son châle. Il était même infiniment plus triste qu’auparavant ; assis gauchement sur sa chaise, et roide comme un piquet, il contemplait la société avec des yeux humides, qui semblaient dire, sans le secours de la parole :

« Ô mon Dieu ! regardez moi ! Est-ce que quelque bonne âme chrétienne ne me viendra pas en aide ? »

Mais les ravissements de mistress Gamp, causés principalement par la vue de Tom Pinch et de sa sœur, auraient abondamment suffi à la consommation d’une vingtaine de jeunes amants. Mistress Gamp avait un de ces heureux tempéraments, susceptibles d’être ravis en extase sans autre stimulant qu’un désir général de se faire une nombreuse et lucrative clientèle. Elle ajoutait tous les jours tant de cordes à son arc, qu’elle avait réussi à en faire une harpe, et maintenant elle se mit à exécuter sur cet instrument un concert improvisé.

« Eh ! quoi ! mon Dieu ! dit-elle, mistress Chuzzlewit ! Je ne me serais jamais imaginé voir dans cette bienheureuse maison, qui est, je le sais bien, miss Pecksniff, une maison