Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/327

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« Je m’étonne, dit Tom, que, dans ces rues encombrées de monde, les piétons ne soient pas plus souvent écrasés. »

M. Moddle répondit avec un regard sombre :

« Les cochers en seraient bien fâchés !

– Voulez-vous dire… ? commença Tom.

– Je veux dire qu’il y a des hommes qui ne peuvent réussir à se faire écraser, dit Moddle avec un rire creux. Ils ont la vie rivée dans le corps. Les tombereaux de charbon de terre reculent devant eux, et même les cabriolets refusent de leur passer sur le ventre. Oui ! dit Auguste, en remarquant l’étonnement de Tom, il y en a d’aucuns, et j’ai un de mes amis dans ce cas-là.

– Ma parole d’honneur, pensa Tom, ce jeune homme est dans un état d’esprit très-inquiétant ! »

Il abandonna dès lors toute idée de conversation, et ne hasarda plus une parole ; mais il tint soigneusement le bras d’Auguste serré contre lui, de peur qu’il ne se précipitât au milieu de la chaussée, et que, cette tentative ayant plus de succès que les autres, il ne donnât à sa fiancée le spectacle d’un sacrifice hindou en petit. Tom avait si grand’peur qu’il ne commît cet attentat insensé, qu’il éprouva un véritable soulagement quand ils furent arrivés sans accident devant la maison de mistress Jonas Chuzzlewit.

« Montez, je vous prie, monsieur Pinch, dit miss Pecksniff à Tom qui s’arrêtait indécis à la porte.

– Je ne sais pas trop si je serais le bienvenu, répondit Tom, ou plutôt je sais que je ne le serais pas. Il vaut mieux que je lui fasse dire un mot, je crois.

– Mais quelle folie ! répondit miss Pecksniff en tirant Tom à l’écart : quand je vous dis qu’il n’est pas à la maison, j’en suis sûre ; je sais qu’il n’y est pas ; et Merry ne se doute pas le moins du monde que vous ayez jamais…

– Non, interrompit Tom. Et je ne voudrais pas qu’elle le sût à aucun prix. Je suis déjà assez honteux de cette mauvaise affaire, je vous assure.

– Ah ! vraiment ! Ah ! bien alors, c’est que vous êtes très-modeste, voyez-vous, répondit en souriant miss Pecksniff. Mais montez, je vous en prie, si vous ne voulez pas qu’elle le sache, et que vous désiriez lui parler ; montez, je vous en prie. Miss Pinch, montez, je vous prie ; ne restez pas là. »

Tom hésitait encore, car il sentait ce que sa position avait d’embarrassant. Mais Cherry passa devant lui en ce mo-