Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/330

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et en effet votre rétribution est insuffisante ; non, Sarah, c’est tout autre chose. Harris l’avait fait tirer avant le mariage à dix shillings et six pence, qu’elle dit, et l’a porté fidèlement sur son cœur, jusqu’à ce que, la couleur ayant passé, on refusa de rendre l’argent, et il fut impossible de s’arranger ensemble. Mais il ne m’a jamais dit que c’était le visage d’un ange, Sarah, quoi qu’il ait pu en penser. » Si le mari de mistress Harris était ici en ce moment, continua mistress Gamp, et elle regarda tout autour d’elle, et sourit, en faisant une révérence générale à toute la société ; si le mari de mistress Harris était ici en ce moment, il s’expliquerait franchement, j’en suis sûre, et sa chère femme serait la dernière à lui en vouloir pour cela : car, s’il exista jamais une femme qui n’a jamais su ce que c’était que de souhaiter l’empoisonnement de celles qui possédaient des charmes, et à laquelle le meilleur des maris ne causa jamais l’ombre de jalousie, cette femme au caractère angélique, c’est mistress Harris ! »

En achevant ces mots, la digne femme (qui semblait être venue par hasard pour prendre le thé, par une attention délicate de la bourgeoise, plutôt que pour remplir dans la maison des fonctions officielles convenues d’avance) passa du côté où M. Chuffey était assis, comme d’habitude, dans son coin, le saisit par l’épaule et le secoua.

« Allons ! réveillez-vous, et levez les yeux ! voyons ! dit mistress Gamp. Ne voyez-vous pas qu’il y a ici de la compagnie, monsieur Chuffey ?

– J’en suis fâché, s’écria le vieillard en regardant humblement autour de la chambre. Je sais que je vous gêne ici. Je vous demande excuse, mais je n’ai pas ailleurs où je puisse aller. Où est-elle ? »

Merry s’approcha de lui sur-le-champ.

« Ah ! dit le vieillard en lui caressant la joue, la voilà, la voilà ! Elle n’est jamais dure envers le vieux Chuffey, elle ! son pauvre vieux Chuff ! »

Elle s’assit sur une chaise basse auprès du vieillard, à portée de sa main, et leva une fois les yeux vers Tom. C’était un triste regard qu’elle lui jeta, quoiqu’un pâle sourire passât en même temps sur son visage. Mais c’était un regard éloquent, et Tom comprit qu’il lui disait :

« Vous voyez comme le malheur m’a changée. Je ne suis plus insensible aux maux d’un inférieur, et je compte son affection pour quelque chose !