Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/331

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— Oui, oui ! s’écria Chuffey d’un ton caressant. Oui, oui, oui ! Ne faites pas attention à lui. C’est dur à supporter, mais n’y faites pas attention, il mourra un jour. Il y a trois cent soixante-cinq jours dans l’année, et même trois cent soixante-six dans les années bissextiles, et il n’en faut qu’un pour le faire mourir.

– Vous êtes un vieux bonhomme bien fatigant, c’est la sainte vérité, dit mistress Gamp en le contemplant à une petite distance, avec une expression qui n’était rien moins que favorable, pendant qu’il continuait à grommeler entre ses dents ; c’est dommage que vous ne sachiez pas ce que vous dites, parce que, si vous compreniez, vous seriez bientôt si fatigué vous-même de vous entendre, que ça vous userait le tempérament, et ce serait un bon débarras pour tous ceux qui vous connaissent.

– Son fils, murmura le vieillard en soulevant sa main, son fils !

– Eh bien ! ma foi, dit mistress Gamp, vous arrangez les choses comme vous l’entendez et à votre satisfaction, j’espère, monsieur Chuffey ! mais, quant à moi, je ne parierais pas une pelote neuve que ce sera un fils, quoique vous paraissiez si bien informé, monsieur. Vieil imbécile ! il donne son avis, et avec pas mal de confiance, encore ! Avec ça qu’il s’y connaît, en fils ou en filles ! Si vous nous appreniez aussi quelque chose sur les jumeaux, monsieur ? auriez-vous cette obligeance ? »

Les sarcasmes amers et indignés de mistress Gamp étaient perdus pour l’innocent Chuffey, qui ne s’en doutait pas plus qu’il ne se doutait d’avoir offensé la garde-malade. L’esprit élevé de cette dernière était très-susceptible quand on avait l’air de vouloir venir chasser sur ses terres. Elle se figurait que M. Chuffey avait articulé quelque prédiction relative à la naissance d’un fils, quand tout pronostic à cet égard aurait dû commencer par émaner d’elle, comme étant la seule autorité légitime, ou, du moins, n’aurait jamais dû être proclamé sans son aveu et son concours. Elle ne s’apaisa donc pas facilement. Elle continua à lancer à M. Chuffey des regards hostiles et des observations ironiques, prononcées avec cette intonation sourde qui révèle en général une indignation concentrée. Enfin, quand on apporta le plateau et les tasses, et que mistress Jonas la pria de faire le thé à une petite table pour la société qui s’était réunie chez elle d’une façon si imprévue, mistress Gamp retrouva sa belle humeur. Elle recommença à