Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/334

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Elle leur fit signe de ne pas lui parler, ce dont ils avaient, du reste, peu envie, et garda elle-même le silence. Il en fit autant pendant quelque temps ; puis il répéta sa question avec une ardeur qui avait quelque chose d’effrayant.

« Il y a quelqu’un de mort, dit-il, ou de mourant ; et je voudrais savoir qui c’est. Allez voir, allez voir ! Où donc est Jonas ?

– À la campagne, » répondit-elle.

Le vieillard la regarda comme s’il doutait de ce qu’elle disait ou comme s’il ne l’avait pas entendue ; puis il se leva, traversa la chambre, et monta l’escalier en disant à demi-voix :

« Infamie ! »

Ils entendirent au-dessus d’eux ses pas qui se dirigeaient vers le côté de la chambre où se trouvait le lit (c’était là que le vieil Anthony était mort) ; puis il redescendit immédiatement. Son imagination n’était ni assez puissante, ni assez exaltée, pour lui faire voir dans la chambre abandonnée des choses qui n’y existaient pas. Il revint beaucoup plus calme, et en apparence satisfait de son examen.

« Ils ne vous le disent pas, dit-il à Merry de sa voix chevrotante ; et il s’assit à côté d’elle, et lui posa la main sur la tête. Ils ne me le disent pas non plus ; mais je veillerai. Ils ne vous feront pas de mal ; n’ayez pas peur. Quand vous attendez et que vous veillez, moi j’attends et je veille aussi. Oui, oui, souvent ! s’écria-t-il en serrant son poing faible et ridé. Plus d’une nuit j’étais sur pied. »

Sa voix était si tremblante, il s’arrêtait si souvent pour reprendre haleine, et, dans sa mystérieuse tendresse pour Merry, il lui parlait si près de l’oreille, que les personnes présentes le comprirent à peine. Mais elles en avaient assez vu et assez entendu pour être troublées. Elles avaient toutes quitté leurs sièges et s’étaient rassemblées autour du vieillard ; ce qui fournit à mistress Gamp (dont le sang-froid habituel n’était pas si facile à ébranler) une excellente occasion de concentrer toutes les ressources de son esprit vigoureux et de son appétit sur les rôties, le beurre, le thé et les œufs. Elle absorba ces comestibles avec tant d’énergie, que sa figure était parvenue au plus haut degré d’inflammation, quand, ne trouvant plus rien à manger ni à boire, elle jugea à propos d’intervenir.

« Allons ! allons ! monsieur ! s’écria mistress Gamp, qu’est-ce que c’est que ces manières-là ? Vous avez besoin qu’on vous jette une potée d’eau froide sur la tête, pour vous ramener à