Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/342

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— Au fait, c’est vrai ! répondit la matrone avec un sourire et une révérence. À quoi pensé-je donc ? Vous n’étiez pas ici, monsieur, quand il a eu ce singulier accès. De ma vie je n’ai vu un pauvre cher homme avoir un si singulier accès, excepté un malade du même âge environ, que j’ai soigné autrefois ; c’était un employé de la douane, et, quant à son nom, c’était le propre père de mistress Harris, le plus agréable chanteur que vous ayez jamais entendu, monsieur Chuzzlewit, une voix comme une guimbarde dans les notes basses. Eh bien ! il fallait six hommes pour le tenir quand il avait ces accès-là, et il lui sortait de l’écume par la bouche d’une manière affreuse.

– C’est Chuffey, hein ? dit Jonas avec indifférence, en voyant qu’elle se dirigeait vers le vieux clerc pour le regarder.

– Sa tête est si brûlante, dit mistress Gamp, qu’on pourrait y chauffer un fer à repasser. Et ce n’est pas étonnant, ma foi ! quand on considère les choses qu’il a dites !

– Dites ! s’écria Jonas. Qu’a-t-il donc dit ? »

Mistress Gamp posa la main sur son cœur pour en arrêter les palpitations, leva les yeux au ciel, et dit d’une voix défaillante :

« Les choses les plus effrayantes que j’aie jamais entendues, monsieur Chuzzlewit. Le père de mistress Harris ne parlait jamais quand il avait ses attaques (il y en a qui parlent et il y en a qui ne parlent pas) ; il disait seulement, quand il revenait à lui : « Où est Sarah Gamp ? » Mais, en vérité, quand M. Chuffey vient nous demander qui est-ce qui est étendu mort là-haut, et…

– Qui est étendu mort là-haut ! » répéta Jonas avec stupéfaction.

Mistress Gamp hocha la tête affirmativement, fit comme si elle avalait, et continua :

« Qui est étendu mort là-haut ! ce sont ses propres paroles, aussi vrai que nous sommes chrétiens ; et puis qu’il demande : « Où est M. Chuzzlewit, qui avait un fil unique ? » et puis qu’il monte là-haut, qu’il va regarder dans les lits, qu’il erre dans les chambres, et qu’il redescend, et qu’il dit tout bas entre ses dents que c’est une infamie, et tout cela, je ne disconviendrai pas, monsieur Chuzzlewit, que ça m’a donné une frayeur telle que je me serais trouvée mal, si je n’avais pris un petit verre de gin ; j’y touche rarement, mais ça n’empêche pas que je suis toujours bien aise de savoir où en trou-