Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/344

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D’après ce que je lui ai vu faire, je vous assure, monsieur, que vous auriez raison.

– Bon ! chargez-vous-en pour le moment, et… voyons… dans trois jours d’ici que l’autre femme vienne me voir, et nous tâcherons de nous arranger ensemble ! entre neuf et dix heures du soir, c’est convenu. En attendant, ne le perdez pas de vue et ne parlez de tout cela à personne. Il est fou !

– Occupez-vous-en alors ; veillez à ce qu’il ne fasse pas de mal, et rappelez-vous ce que je vous ai dit. »

Laissant mistress Gamp en train de répéter tout ce qu’il lui avait dit, et de produire à l’appui de sa mémoire et de son mérite un grand nombre d’éloges, choisis parmi les opinions les plus remarquables de la célèbre mistress Harris, Jonas descendit à la petite chambre qui lui avait été préparée, ôta son habit et ses bottes, et les mit en dehors de la porte avant de la fermer. En la fermant à double tour il eut soin d’ajuster la clef de manière que les gens curieux ne pussent regarder par le trou de la serrure ; et, quand il eut pris ces précautions, il s’assit devant la table sur laquelle on avait servi son souper.

« Monsieur Chuffey, grommela-t-il, il ne sera pas bien difficile de vous mater comme les autres. Il est inutile de faire les choses à demi, et, tant que je serai ici, je me chargerai de vous surveiller. Quand je serai parti, vous pourrez dire ce que vous voudrez. Mais c’est tout de même une singulière chose, ajouta-t-il en repoussant le plat qu’il n’avait pas encore entamé, et en se remettant à marcher ; c’est une singulière chose que ses radotages aient pris cette tournure-là justement dans ce moment-ci. »

Après avoir arpenté la petite chambre d’un bout à l’autre plusieurs fois, il s’assit sur une autre chaise.

« Je dis dans ce moment-ci ; mais comment sais-je s’il n’y a pas déjà longtemps qu’il rumine tout ça ? Vieux chien ! il faudra lui mettre un bâillon. »

Il se remit à marcher avec agitation ; puis il s’assit sur le bord du lit, le menton appuyé sur sa main, et il regarda la table. Quand il l’eut regardée pendant longtemps, il se souvint de son souper ; il reprit la chaise sur laquelle il s’était d’abord assis, et commença à manger avec une grande voracité, non pas comme un homme qui a faim, mais comme un homme qui se force pour manger quand même. Il but aussi