Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/345

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solidement. Quelquefois il s’arrêtait subitement au milieu de son repas, se levait, changeait de place, se remettait à marcher, puis s’élançait de nouveau vers la table et se remettait à dévorer, comme auparavant, avec une précipitation affamée.

Il commençait à faire obscur. À mesure que la nuit plus sombre remplaçait le crépuscule, une autre teinte sombre, qui émanait de Jonas lui-même, se répandait sur son visage et le changeait par degrés. Lentement, lentement, de plus en plus sombre, de plus en plus livide, cette ombre s’étendait petit à petit, jusqu’à ce qu’il fit nuit noire en lui comme au dehors.

La chambre dans laquelle il s’était enfermé était située au rez-de-chaussée, sur le derrière de la maison. Elle était éclairée d’en haut par un vitrage sale, et elle avait dans la muraille une porte qui s’ouvrait sur une espèce de passage étroit ou de ruelle couverte, très-peu fréquentée après cinq ou six heures du soir ; même dans la journée on y passait rarement. Cette ruelle conduisait à une rue voisine.

Le terrain qu’occupait cette chambre avait été jadis, à une époque antérieure à Jonas, une cour. On y avait construit cette chambre pour en faire un bureau. Mais l’homme qui l’avait fait bâtir était mort, et on ne s’en était plus servi que par occasion, comme de chambre à coucher, dans les cas d’urgence ; pendant quelques temps (mais il y avait bien des années de cela) elle avait été donnée au vieux commis. En somme, Antony Chuzzlewit et son fils n’y avaient guère mis les pieds. C’était une chambre tachée d’humidité, décolorée et sentant le moisi comme un caveau. Il y passait des tuyaux et des conduits qui, dans le milieu de la nuit, quand tout était tranquille et silencieux, faisaient soudain des gargouillements imprévus, comme s’ils allaient suffoquer.

La porte qui donnait dans la cour n’avait pas été ouverte depuis bien, bien longtemps ; mais la clef en était toujours restée accrochée au même clou, et elle y pendait encore. Jonas s’était attendu à la trouver rouillée, car il avait apporté dans sa poche une petite bouteille d’huile et la barbe d’une plume avec laquelle il graissa soigneusement la clef et la serrure. Pendant tout ce temps il était resté sans habit, et n’avait aux pieds que ses bas. Il entra ensuite tout doucement dans le lit, et se roula de côté et d’autre pour le défaire ; ce qui lui fut facile dans son état d’agitation.