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CHAPITRE XXII.
Conclusion de l’entreprise de M. Jonas et son ami.

Les gens qui passaient le long des rues sombres ne tressaillirent-ils pas, sans savoir pourquoi, lorsqu’il marcha derrière eux d’un pas furtif ? Tandis qu’il glissait comme une ombre, quelque enfant endormi ne crut-il pas, en effet, sentir une ombre sinistre s’appesantir sur son lit et troubler son innocent repos ? Le chien ne hurla-t-il pas ? n’essaya-t-il pas de briser sa chaîne bruyante pour le déchirer à belles dents ? Le rat, en train de se creuser un terrier, en flairant la besogne que Jonas portait dans ses mains, n’essaya-t-il pas de se grignoter un passage après lui pour venir prendre sa bonne part à la curée ? Lorsque Jonas tourna la tête par-dessus son épaule, n’était-ce pas pour voir si ses pieds agiles s’enfonçaient encore à sec dans la poussière de la route, ou bien s’ils n’étaient pas humides déjà et maculés de ce limon rouge qui souilla les pieds nus de Caïn ? …

Il se dirigea vers la grande route de l’ouest et l’eût bientôt atteinte : tantôt il montait en voiture, tantôt il descendait et recommençait à marcher. Il fit un trajet considérable sur l’impériale d’une diligence qui le rattrapa en route ; et, quand cette diligence quitta la direction qu’il suivait, Jonas obtint pour quelque argent, du conducteur d’une chaise de poste qui revenait à vide, de le prendre avec lui ; il fit ainsi un mille ou deux environ, par la traverse, avant de retomber dans la grande route. Enfin il monta dans une espèce de patache nocturne, lente et lourde, qui s’arrêtait à toutes les auberges, et qui justement stationnait en ce moment à la porte d’un bouchon, où le postillon et le cocher étaient en train de manger et de boire.

Il fit marché pour une place sur la banquette, et il n’en bougea plus jusqu’au moment où la patache ne fut plus qu’à quelques milles du lieu de sa destination : il y resta coi toute la nuit.

Toute la nuit ! … On croit généralement que la nature sem-