Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/346

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Quand il se fut relevé, il tira de son portemanteau (qu’il avait fait déposer dans la chambre en rentrant chez lui) une paire de gros souliers qu’il se mit aux pieds, puis une paire de guêtres de cuir, telles qu’en portent les paysans, avec des cordons de peau pour les attacher à la ceinture ; il mit du temps à sa toilette. Enfin il retira une blouse commune, en grossière cotonnade de couleur foncée, qu’il passa par-dessus ses vêtements ; puis un chapeau de feutre. Il avait à dessein laissé le sien en haut. Il s’assit alors tout contre la porte, tenant la clef à la main, et il attendit.

Il n’avait pas de lumière ; le temps lui parut d’une longueur et d’une tristesse effrayantes. Des sonneurs de cloches s’exerçaient dans une église du voisinage, et leur carillon rendait Jonas presque fou. Maudites cloches ! elles semblaient savoir qu’il écoutait à la porte, et le proclamer de leurs mille voix à toute la ville ! Elles ne voulaient donc pas se taire ?

Enfin elles se taisent, et il se fait un silence si nouveau, si terrible, qu’on dirait le prélude de quelque bruit épouvantable. Des pas se font entendre dans l’impasse. Ce sont deux hommes. Jonas se recule sur la pointe des pieds, comme si on pouvait le voir au travers des panneaux de bois de la porte. Ils passent en parlant (car il peut distinguer ce qu’ils disent) d’un squelette qu’on a déterré la veille en faisant une excavation non loin de là, et qu’on suppose être celui d’un homme assassiné. « Ainsi, vous voyez que les meurtres ne sont pas toujours découverts, » se disent-ils l’un à l’autre en tournant l’angle de l’impasse.

Chut !

Jonas met la clef dans la serrure et la tourne. La porte résiste un peu, puis s’ouvre avec difficulté. Au goût de fièvre qu’il a dans la bouche, se mêle un goût de rouille, de poussière, de terre et de bois pourri. Il jette un regard au dehors, sort, et ferme la porte derrière lui.

Tout était tranquille et silencieux au moment où il s’enfuit.