Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/349

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ces hommes semaient des fleurs et préparaient la voie à d’autres qui étaient montés sur des chevaux blancs. Soudain une figure terrible s’élança du sein de la multitude et cria : « Voici le Dernier Jour pour tout le monde ! » Ce cri s’étant répandu, il y eut un élan sauvage vers le Jugement : la presse devint tellement compacte que le voyageur et son compagnon (qui changeait constamment et n’était jamais le même deux minutes de suite, bien que Jonas ne s’aperçût pas quand l’un partait et quand l’autre arrivait) se retirèrent de côté sous un portique, embrassant d’un regard inquiet la multitude. Dans cette foule il se trouvait bien des figures que le voyageur connaissait ; il y en avait beaucoup d’autres qu’il ne connaissait point, mais il rêvait qu’elles lui étaient connues. Tout à coup surgit violemment, au-dessus de toutes les autres têtes, une tête livide et décharnée… telle qu’il l’avait connue, celle-là… Elle le dénonça comme l’instigateur de ce Jour redoutable : ils étaient aux prises ensemble, et, tandis qu’ils faisaient des efforts pour dégager celle de ses mains qui tenait un bâton et frapper le coup qu’il avait si souvent médité, il tressaillit et s’éveilla pour retrouver son projet de la veille, et pour voir poindre le soleil levant.

Le soleil fut le bienvenu. C’était la vie, le mouvement, un monde animé, qui venaient se partager l’attention du Jour. Ce que le criminel redoutait le plus, c’était l’œil de la Nuit, de la Nuit vigilante, éveillée, silencieuse et attentive, qui n’avait rien d’autre chose à faire que de surveiller les mauvaises pensées. Il n’y a pas de rayonnement dans la Nuit. La Gloire elle-même perd de ses avantages, la nuit, dans le pêle-mêle du champ de bataille. Comment voulez-vous qu’il en soit autrement pour ce bâtard de la Gloire des combats, qui s’appelle le Meurtre ?

Eh bien ! Il n’avait plus maintenant d’incertitude et de crainte au grand jour, pas de secret à se garder à lui-même. Le meurtre ! C’était pour cela qu’il était venu.

« Descendez-moi ici, dit-il.

– Si près de la ville ? fit observer le cocher.

– Je puis descendre où bon me semble, je suppose.

– Vous pouvez monter si vous voulez et descendre si ça vous plaît. Ça ne nous brisera pas le cœur de vous quitter, comme ça l’aurait pas brisé non plus de ne vous avoir pas rencontré. Allons, plus vite que ça ; voilà tout ! »

Le conducteur était descendu, et il attendait sur la route pour recevoir son argent. Dans la haine et la méfiance qui