Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/350

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lui faisaient voir un espion partout, Jonas s’imagina que cet homme le regardait avec une curiosité peu ordinaire.

« Qu’est-ce que vous regardez comme ça ? dit-il.

– Pas un bel homme, pour sûr, répondit le conducteur. Si vous voulez savoir votre bonne aventure, je puis vous la dire un brin. Vous ne serez pas noyé : c’est toujours ça. »

Avant que Jonas eût pu répliquer ou tourner le dos, le cocher mit fin à la conversation en lui allongeant un coup de fouet pour le faire garer, comme un chien hargneux. Au même instant le conducteur grimpa sur son siège, et tous deux repartirent avec de grands éclats de rire, laissant derrière eux sur la route Jonas debout, qui leur montra le poing. Cependant, en y réfléchissant, il ne fut pas fâché d’avoir été pris pour un pauvre diable de paysan ; il s’en félicita même, en y trouvant la preuve qu’il était bien déguisé.

S’étant jeté dans un taillis qui bordait la route, non pas, il est vrai, tout près de l’endroit où il était descendu de voiture, mais bien à deux ou trois milles de là, il arracha d’une haie un bâton épais, rude et noueux ; puis, s’asseyant à l’abri d’une meule de foin, il passa quelque temps à le façonner avec son couteau, à peler l’écorce, à arrondir la tête rugueuse du gourdin.

Le jour s’écoula. Midi, l’après-midi, le soir ; le soleil se coucha.

À cette heure paisible et sereine, deux hommes, voyageant dans un tilbury, sortirent de la ville par une route peu fréquentée. C’était le jour où M. Pecksniff était convenu de dîner avec Montague. Il avait rempli son engagement et revenait maintenant chez lui. Son hôte l’accompagnait seulement un bout de chemin, comptant revenir à travers champs, par un joli sentier détourné que M. Pecksniff lui avait promis de lui faire voir. Jonas connaissait leur plan. Il avait rôdé dans la cour de l’auberge tandis qu’ils étaient à dîner, et les avait entendus donner leurs ordres.

Ils causaient gaiement et si haut, qu’on pouvait les entendre de loin. Leur voix dominait de beaucoup le bruit des roues de leur voiture et du sabot de leur cheval. Ils allèrent leur train jusqu’à l’endroit où une barrière et un sentier indiquaient le lieu de leur séparation. C’est là qu’ils s’arrêtèrent.

« C’est trop tôt, beaucoup trop tôt, dit M. Pecksniff. Mais voici l’endroit, mon cher monsieur. Suivez ce sentier et allez