Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/35

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— L’introduirai-je ? demanda Jobling.

– Je vous en serai éternellement reconnaissant, » répondit Tigg en baisant sa main et souriant avec douceur.

Le docteur passa dans le bureau extérieur, d’où il revint immédiatement avec Jonas Chuzzlewit.

« Monsieur Montague, dit Jobling, permettez-moi de vous présenter mon ami M. Chuzzlewit. Mon cher monsieur Jonas, je vous présente l’un de mes meilleurs amis, notre président. Maintenant, savez-vous bien, ajouta-t-il en se reprenant avec une finesse parfaite et promenant un sourire autour de lui, que voici une singulière preuve de la force de l’exemple ? C’est réellement une très-remarquable preuve de la force de l’exemple. Je dis notre président. Pourquoi notre président ? Parce qu’il n’est point mon président. Je n’ai d’autre rapport avec la Compagnie que de lui donner, moyennant rétribution, moyennant honoraires, mon humble avis comme médecin, tout juste comme je le donnerais soit à Jack Noakes, soit à Tom Styles. Alors pourquoi ai-je dit notre président ? Tout simplement parce que j’entends cette formule constamment répétée autour de moi. Telle est, chez ce bipède qui s’appelle l’homme, l’opération involontaire de la faculté morale de l’imitation. Monsieur Crimple, je crois que vous ne prisez plus ? Vous avez tort. Vous devriez priser. »

Tandis que le docteur se livrait à ces observations et les faisait suivre d’une prise sonore et prolongée, Jonas s’assit à la table du Conseil, de l’air gauche et maladroit que le lecteur lui connaît bien. Il nous arrive à tous communément, mais surtout aux esprits vulgaires, de nous laisser imposer par les beaux habits et les meubles magnifiques. Jonas en subissait plus que personne l’influence.

« Maintenant, je sais que vous avez, messieurs, une affaire discuter ensemble, dit le docteur, et votre temps est précieux. Le mien l’est aussi, car bien des existences reposent sur moi dans la salle voisine, et, après que j’aurai vaqué à ce soin, j’aurai à faire toute une tournée de visites. À présent que j’ai eu le plaisir de vous mettre en rapport, je puis aller à mes occupations. Au revoir ! Mais, avant que je parte, permettez-moi, monsieur Montague, de vous dire encore ces deux mots du gentleman qui est assis auprès de vous : ce gentleman a fait plus, monsieur (ici, le docteur frappa solennellement sur sa tabatière), pour me réconcilier avec l’humanité, qu’aucun homme mort ou vivant. Au revoir ! »