Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/351

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tout droit à travers le petit bois auquel il vous conduira. Là, le chemin devient plus étroit, mais vous ne pouvez pas vous tromper. Quand vous reverrai-je ? Bientôt, j’espère.

– Je l’espère également, répondit Montague.

– Bonsoir.

– Bonsoir et bon voyage ! »

Tant que M. Pecksniff fut visible et tourna la tête par intervalles pour le saluer, Montague resta sur le chemin à lui sourire et à agiter sa main en signe de salutation cordiale. Mais quand son nouvel ami eut disparu et que ces politesses eurent cessé d’être nécessaires, Montague s’assit sur la barrière avec un air tellement décomposé, qu’il semblait, dans ce court espace de temps, avoir vieilli de dix ans.

Il était très-animé par le vin, mais sans être gai pour cela. Son plan avait réussi, et cependant Montague n’en était pas triomphant. Les efforts qu’il lui avait fallu faire pour soutenir son rôle difficile devant son dernier compagnon l’avaient fatigué peut-être ; peut-être bien aussi les ombres du soir murmuraient-elles quelque chose à sa conscience ; ou peut-être bien encore (c’est même sûr) un voile obscur s’étendait-il autour de lui, lui dérobant toute autre pensée que le pressentiment et la vague prescience du sort qui le menaçait.

S’il y a des fluides (et nous savons qu’il y en a), qui, en sentant venir le vent, ou la pluie, ou la gelée, se resserrent et s’efforcent de se cacher dans leurs tubes de cristal, pourquoi le sang, cette liqueur subtile, ne pourrait-il pas, en vertu d’une propriété à lui particulière, sentir que des mains sont levées pour le répandre, et couler alors plus froid et plus noir dans les veines, comme il coulait en ce moment dans les veines de Montague ?

Si froid, bien que l’air fût chaud ; si noir, bien que le ciel fût brillant, que Montague se redressa en frissonnant, et s’empressa de se remettre en chemin ; mais il s’arrêta presque aussitôt, ne sachant pas s’il continuerait de suivre ce sentier solitaire et écarté, ou s’il ne reviendrait pas plutôt sur ses pas pour prendre la grande route.

Il prit le sentier.

Les feux étincelants du soleil couchant éclairaient son visage ; le concert des oiseaux retentissait à son oreille ; de jolies fleurs sauvages s’épanouissaient autour de lui. À une certaine distance, il distinguait les toits de chaume des ca-