Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/353

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Jamais œil mortel ne le revit, jamais oreille mortelle ne l’entendit, jamais à l’exception d’un seul homme.

Cet homme, écartant les feuilles et les branches, de l’autre côté, tout près de l’endroit où finissait le sentier, ne tarda pas à s’élancer d’un bond hors du bois.

Qu’avait-il donc laissé dans le bois pour s’élancer ainsi, comme s’il sortait de l’enfer ?

Le cadavre d’un homme assassiné.

Dans un fourré épais et solitaire, ce cadavre était étendu sur les feuilles de chênes et de hêtre de l’année précédente, juste comme il était tombé, tout de son long. Humectant d’une rosée de sang les feuilles qui lui servaient d’oreiller ; s’enfonçant dans le sol vaseux, comme pour échapper aux regards des hommes ; pénétrant de plus en plus à travers les feuilles qui se repliaient, se refoulant par un sentiment d’horreur, devant la tache sombre, lugubre, qui souillait cette belle nuit d’été, de la terre jusqu’au ciel.

L’auteur du crime s’élança du bois avec tant d’impétuosité, qu’il remplit l’air d’une pluie de débris de jeunes branches brisées sur son passage, et qu’il alla tomber lui-même violemment sur l’herbe. Mais il se remit vivement sur ses pieds, se courba et, passant par-dessous une haie, se dirigea en courant vers la grande route. Une fois sur la grande route, il se mit à marcher rapidement dans la direction de Londres.

Il n’avait pas de regret de ce qu’il avait fait. Il était effrayé en y songeant (et ne songeait qu’à cela ! ), mais il n’en avait pas de regret. Quand il était dans le bois, c’était le bois qui lui avait causé de la terreur, de l’épouvante ; mais maintenant qu’il en était sorti, maintenant qu’il avait commis le crime, sa frayeur, prenant un autre cours, le ramenait, par un revirement étrange, à la chambre sombre qu’il avait laissée soigneusement fermée dans sa maison. Cette chambre lui faisait plus d’horreur, infiniment plus que le bois. Et à présent qu’il y revenait, elle lui semblait bien plus sinistre, bien plus effrayante que le bois. C’est dans cette chambre que son hideux secret était renfermé : c’est là que l’attendaient toutes ses terreurs ; selon lui, ce n’était plus du tout dans le bois.

Il marcha l’espace de dix milles ; alors il s’arrêta à un cabaret pour y attendre une diligence qui devait bientôt passer par là à la destination de Londres. Il le savait, et n’ignorait pas non plus que ce n’était pas la même qu’il avait prise en ve-