Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nant, car celle-ci partait d’une autre ville. Il s’assit en dehors de la porte, sur un banc, à côté d’un homme qui fumait sa pipe. Ayant demandé de la bière, il en but une partie et en offrit à ce compagnon, qui le remercia et en avala une gorgée. Il ne pouvait s’empêcher de penser que, si cet homme avait été instruit de son secret, il ne se fût sans doute pas soucié de boire au même verre que lui.

« Une belle nuit, camarade ! dit l’homme. Un coucher de soleil comme on en voit peu !

– Je ne m’en suis pas aperçu, répondit vivement Jonas.

– Vous ne vous en êtes pas aperçu ? répliqua l’homme.

– Comment diable l’aurais-je vu, si je dormais ?

– Vous dormiez ! … tiens ! tiens ! »

L’homme parut surpris de l’irritabilité imprévue de son interlocuteur, et sans ajouter un mot de plus, il se remit à fumer en silence. Il n’y avait pas longtemps qu’ils étaient assis ensemble lorsqu’on entendit frapper dans la maison.

« Qu’est-ce que c’est que cela ? s’écria Jonas.

– Ma foi ! je ne sais pas, » répondit l’homme.

Jonas n’en demanda pas davantage, car cette dernière question lui avait échappé malgré lui. Mais en ce moment il songeait à la porte fermée chez lui, il pensait qu’on avait bien pu venir y frapper aussi pour une cause quelconque ; il craignait qu’on ne se fût inquiété de ne pas recevoir de réponse, et qu’on ne l’eût ouverte de vive force ; qu’on n’eût trouvé la chambre vide ; qu’on n’eût refermé la porte donnant sur la cour et qu’on ne le mît ainsi dans l’impossibilité de rentrer chez lui sans se montrer sous le costume qu’il portait ; que cela ne donnât lieu à des soupçons, les soupçons à une révélation, la révélation à la mort. C’est justement dans ce moment-là, comme tout exprès et par un enchaînement de circonstances fatales, qu’on avait frappé dans l’intérieur de la maison.

On frappait toujours ; c’était comme un écho prophétique de la réalité terrible que Jonas avait évoquée. Incapable de rester assis et d’en entendre davantage, il paya sa bière et s’éloigna. C’est ainsi qu’après avoir rôdé tout le jour dans un pays qu’il ne connaissait pas, et se trouvant dehors, la nuit, sur une route isolée, dans son travestissement, et en proie à une disposition d’esprit pleine de trouble et d’agitation, il s’arrêta plus d’une fois pour regarder autour de lui, dans l’espérance qu’il allait enfin sortir de ce mauvais rêve.