Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/37

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Nous voulons donc avoir le mérite de jouer cartes sur table avec vous, puisque nous savons bien que nous ne pouvons faire autrement. »

Dès le premier moment où nous avons produit Jonas aux yeux de nos lecteurs, nous avons fait observer qu’il y a dans la fourberie comme dans l’innocence une certaine ingénuité, et que Jonas, toutes les fois qu’il s’agissait d’un trait de friponnerie, était le plus crédule des hommes. Si M. Tigg avait voulu présenter l’affaire sous un jour honorable, Jonas n’eût pas manqué de le soupçonner, l’autre eût-il été un parfait modèle de probité ; mais quand Tigg répondit tout d’abord à la mauvaise opinion de Jonas sur tout et sur chacun, Jonas commença à trouver que c’était un brave garçon avec qui l’on pouvait s’expliquer librement.

Il changea donc d’attitude dans son fauteuil ; il n’en fut pas moins disgracieux, mais il se donna l’air plus arrogant, souriant en lui-même à sa vanité misérable.

« Vous n’êtes pas maladroit en affaires, dit-il, monsieur Montague ; vous savez prendre les gens, à ce que je vois.

– Chut ! chut ! fit Tigg, avec un geste confidentiel et en montrant ses dents blanches ; nous ne sommes pas des enfants, monsieur Chuzzlewit ; nous sommes des hommes faits, je suppose. »

Jonas fit voir qu’il était de son avis ; puis étendant pour la première fois ses jambes et posant un de ses poings sur la hanche pour montrer qu’il se trouvait là comme chez lui :

« La vérité est… dit-il.

– Ne parlez pas de vérité, interrompit Tigg avec une autre grimace bouffonne. Pas de blague ! »

Jonas, enchanté de cette saillie, reprit ainsi :

« Eh bien ! pour dire les choses par le menu…

– Voilà qui va mieux, murmura Tigg ; beaucoup mieux !

– Je n’ai pas eu à m’applaudir des relations que j’ai eues avec une ou deux des anciennes compagnies… que j’ai eues autrefois, je veux dire. Elles faisaient des objections qu’elles n’avaient pas le droit de faire, elles posaient des questions qu’elles n’avaient pas le droit de poser, et le prenaient de trop haut pour mon goût. »

En faisant ces observations, il baissa les yeux et regarda curieusement son interlocuteur.

Jonas fit une si longue pause, que M. Tigg crut devoir venir à son secours et dit, de la manière la plus gracieuse :