Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/376

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lard paraissait avoir de son côté), les deux amis reconnurent, à l’unanimité, que le vieux commis était l’homme dont ils avaient besoin.

Mais, de même que dans un meeting public on déclare à plusieurs reprises, par une résolution unanime, que l’on ne saurait supporter plus longtemps tel ou tel grief, qui cependant continuera d’exister sans la moindre modification durant un siècle ou deux encore ; de même les deux jeunes gens n’aboutirent qu’à cette seule et unique conclusion qu’ils étaient unanimes dans leur opinion, mais aussi embarrassés l’un que l’autre de ce qu’ils en devaient faire. Car, s’il était utile de voir M. Chuffey, autre chose était d’arriver jusqu’à lui sans inspirer d’ombrage, soit à lui, soit à Jonas, ou sans échouer tout d’abord contre la difficulté de tirer d’un instrument aussi discordant et aussi hors de service que celui-là, la note qu’ils cherchaient. Ils n’en étaient donc pas plus avancés qu’auparavant.

La question, maintenant, c’était de savoir lequel des assistants avait exercé le plus d’influence sur le vieux commis, dans la soirée dont nous venons de parler. Selon Tom, c’était évidemment la jeune maîtresse de Chuffey. Mais Tom et tous les autres frémirent devant l’idée de tromper Merry pour faire d’elle l’instrument innocent de la ruine de son tyran. N’y avait-il donc plus personne qu’on pût employer ? Si fait, il y avait quelqu’un encore. Tom dit que Chuffey subissait aussi, quoique d’une autre manière, l’influence de mistress Gamp, la garde-malade, qui autrefois l’avait soigné, disait-on, durant quelque temps.

Ils s’arrêtèrent immédiatement à cette idée. C’était une voie nouvelle, dans une direction à laquelle ils n’avaient pas songé jusqu’alors. John Westlock connaissait mistress Gamp ; c’est lui qui lui avait donné de l’emploi ; il savait son adresse ; car en partant, cette bonne dame avait eu l’obligeance de lui remettre tout un paquet de ses prospectus, pour en faire part à ses amis et connaissances. Il fut décidé qu’on aborderait mistress Gamp avec précaution, mais sans le moindre retard, qu’on sonderait soigneusement la profonde expérience que cette discrète matrone avait de M. Chuffey, et qu’on en profiterait pour se mettre en rapport avec lui, soit tous ensemble, soit au moins par quelqu’un d’entre eux.

En conséquence, Martin et John Westlock résolurent d’agir dès le soir même, et de se rendre tout d’abord chez mistress