Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/379

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les jambes d’un étranger. La charpente destinée à soutenir le baldaquin et les rideaux, s’il y en avait eu, était ornée de pommes en bois sculpté, lesquelles à la moindre provocation, et souvent même sans provocation aucune, se mettaient à dégringoler, alarmant le pacifique visiteur par des terreurs inexplicables.

Le lit était lui-même décoré d’un couvre-pied tout rapiéceté et de la plus vénérable antiquité : à la tête, du côté le plus rapproché de la porte, pendait un étroit rideau de calicot bleu, pour empêcher les zéphyrs qui prenaient leurs ébats dans Kingsgate-Street, de caresser trop rudement le visage de mistress Gamp. Quelques vieilles robes et autres articles de toilette de cette dame étaient suspendus à des patères ; et ces effets d’habillement s’étaient, par un long usage, si bien moulés sur les contours de la dame, que plus d’un mari impatient, entrant précipitamment en ce lieu, vers l’heure du crépuscule, resta d’abord muet d’horreur, en croyant voir mistress Gamp pendue en personne. Un gentleman, venu pour une de ces commissions pressées, dont le motif se devine aisément, avait dit que ces vêtements ressemblaient à des anges gardiens qui « protégeaient mistress Gamp pendant son sommeil. » Mais, ajoutait mistress Gamp, s’il s’était permis cette familiarité la première fois, il s’était bien gardé de le répéter, quoiqu’il eût souvent réitéré ses visites.

Dans l’appartement de mistress Gamp, les sièges étaient extrêmement grands et avaient un dossier très-large ; raison suffisante pour que leur nombre ne montât pas à plus de deux. C’étaient des fauteuils d’acajou antique ; ils se distinguaient surtout par la nature lisse et glissante de leur coussin qui, dans l’origine, avait été composé d’un tissu de crin, mais qui était maintenant couvert d’un enduit luisant et d’une teinte bleuâtre, sur lequel le visiteur commençait à glisser, à sa profonde stupéfaction, aussitôt après s’y être assis. Ce qui lui manquait en fauteuils, mistress Gamp le rachetait en cartons ; elle en possédait une nombreuse collection, destinée à recevoir les objets les plus divers comme les plus précieux. Cependant ces objets n’étaient pas tout à fait aussi bien protégés que la bonne dame paraissait le croire par une agréable fiction : car, bien que chaque carton eût son couvercle soigneusement fermé, aucun d’eux n’avait de fond ; ce qui faisait que sa propriété personnelle n’était guère, pour ainsi dire, abritée que par des éteignoirs d’un nouveau genre. La