Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/380

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commode, ayant été faite dans l’origine pour être posée en guise de buffet sur un avant-corps, avait un certain air de meuble nain, maintenant qu’elle était isolée ; mais la sécurité qu’elle offrait lui donnait un grand avantage sur les cartons. En effet, comme les poignées en avaient été arrachées depuis longtemps, il était très-difficile d’y rien prendre. L’opération ne pouvait s’accomplir que de deux manières : soit en penchant le meuble tout entier jusqu’à ce que les tiroirs tombassent tous à la fois, soit en ouvrant chaque tiroir l’un après l’autre avec une lame de couteau, comme on ouvre les huîtres.

Mme Gamp entassait tous ses ustensiles de ménage dans un petit buffet près de la cheminée, en commençant par mettre sous la dernière planche, comme de raison, le charbon de terre au rez-de-chaussée, et montant par étages jusqu’aux spiritueux que, par des motifs de délicatesse, elle tenait dissimulés dans une théière. Le dessus de la cheminée était orné d’un petit almanach, que mistress Gamp avait de sa propre main marqué çà et là de signes indiquant la date à laquelle telle ou telle dame devait être soulagée. Le chambranle en était décoré également de trois portraits : l’un, colorié, représentant mistress Gamp elle-même au temps de sa jeunesse ; l’autre, bronzé, était une dame coiffée de plumes, probablement Mme Harris en toilette de bal ; et le troisième, en noir, image de feu M. Gamp. Ce dernier portrait avait été exécuté en pied, afin que la ressemblance en fût plus frappante et moins contestable par la reproduction de la jambe de bois.

Un soufflet, une paire de socques, une fourchette à rôties, un chaudron, un poêlon à bouillie, une cuiller destinée à administrer les médecines aux malades récalcitrants ; et enfin le parapluie qui, en sa qualité d’objet rare et précieux, était étalé en évidence ; tels étaient les objets qui complétaient la décoration du dessus de cheminée et du mur adjacent. Mme Gamp leva les yeux avec satisfaction sur ces ornements quand elle eut préparé le plateau à thé et terminé ses dispositions pour recevoir Betsey Prig, en exhibant deux livres au moins de saumon de Newcastle, où elle n’avait pas épargné la saumure.

« Voilà ! Maintenant vous n’avez qu’à venir, Betsey, et ne tardez pas ! dit mistress Gamp, apostrophant son amie absente. Car je ne sais pas ce que c’est que d’attendre, ma parole d’honneur. Quelque part que j’aille, je tiens à ce qu’on soit ponctuel avant tout. Il faut peu de chose pour me satisfaire, mais je