Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/383

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pour qui le ramènera. On a mis également un avis pour M. Montague, le maître du pauvre jeune Bailey (quel garçon cela faisait ! ). Il y en a qui disent qu’il s’est sauvé aussi et qu’il a été rejoindre son ami à l’étranger ; d’autres, qu’il ne peut en avoir eu le temps ; et on le cherche partout. Leur office est à bas ; une vraie flouerie. Mais qu’est-ce que c’est qu’une compagnie d’assurances sur la vie, comparée à une vie ? et à la vie du jeune Bailey encore !

– Il était né dans une vallée de misère, dit Mme Gamp avec une froideur philosophique, et il a vécu dans une vallée de misère ; il n’a fait que subir les conséquences d’une telle situation. Mais n’avez-vous pas entendu parler de M. Chuzzlewit dans tout ceci ?

– Non, dit Poll, je n’ai pas entendu parler de lui. Son nom n’était pas imprimé parmi ceux des membres du bureau, bien qu’il y ait des gens qui disent qu’il était au moment d’en être. Les une croient qu’il a été attrapé, les autres qu’il était un des attrapeurs ; mais, en tout cas, on ne peut rien prouver contre lui. Ce matin, il s’est présenté de lui-même par-devant le lord-maire ou quelqu’une des grosses perruques de la Cité ; il s’est plaint d’avoir été filouté ; il a dit que ces deux individus s’étaient sauvés après l’avoir trompé, et qu’il venait de découvrir que le nom de Montague n’était pas Montague, mais un autre. On dit encore qu’il avait l’air d’un déterré, sans doute à cause de ses pertes. Mais, Dieu me pardonne ! s’écria le barbier revenant à l’objet de son chagrin particulier, qu’est-ce que ça me fait à moi, l’air qu’il a ? Il pourrait être mort cinquante fois, et bonsoir ! Ça n’aurait pas été une perte comme celle de Bailey ! … »

En ce moment, la petite sonnette recommença son train ; l’organe sonore de mistress Prig interrompit la conversation.

« Oh ! vous parliez de ça, vous autres ! … Eh bien, j’espère que vous en avez fini, car cela ne m’intéresse pas du tout, moi.

– Ma chère Betsey, dit mistress Gamp, comme vous arrivez tard ! »

La digne mistress Prig répondit avec une certaine aigreur que, s’il y avait des mauvais sujets qui se permettaient de mourir au moment où l’on devait le moins s’y attendre, ce n’était pas sa faute. Et elle ajouta « qu’il était déjà assez désagréable d’être en retard quand on allait prendre le thé chez quelqu’un, sans en recevoir encore des reproches ! »