Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/384

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Mme Gamp, devinant, d’après cette réplique, que Mme Prig n’était pas bien montée pour le quart d’heure, emmena aussitôt son amie, dans l’espérance que la vue du saumon salé opérerait chez Betsey une douce métamorphose.

Mais Betsey Prig s’attendait au saumon salé ; c’était certain, car, à peine eut-elle jeté un regard sur la table, qu’elle dit tout d’abord :

« Je savais bien qu’elle n’aurait pas de concombres ! »

Mme Gamp changea de couleur et se laissa tomber sur son lit.

« Dieu vous bénisse, Betsey Prig ! vous dites vrai. Je les avais complètement oubliés ! »

Mme Prig, regardant fixement son amie, plongea la main dans sa poche et, avec un air de triomphe hargneux, tira de ce réceptacle la plus vieille des laitues ou le plus jeune des choux, en tout cas un légume vert d’une nature luxuriante et de proportions si magnifiquement splendides, qu’elle fut obligée de le fermer comme un parapluie avant de pouvoir le tirer de sa prison. Elle exhiba aussi une poignée de moutarde et de cresson, quelques brins de l’herbe appelé pissenlit, trois bottes de radis, un oignon beaucoup plus gros qu’un navet moyen, trois tranches substantielles de betteraves, et une griffe ou plutôt un andouiller de céleri. Quelques minutes auparavant, tout ce potager avait été acheté à une exposition publique, comme salade à quatre sous, par mistress Prig, à la condition que le vendeur pût faire entrer en entier la marchandise dans la poche de la dame. L’opération s’était heureusement accomplie dans High-Holborn, à la profonde stupeur et admiration des cochers de fiacre de la place voisine. Et Betsey tira si peu vanité de son habile marché, qu’elle ne sourit même pas. Elle se contenta de retourner sa poche et de recommander que ces productions de la nature fussent immédiatement coupées par tranches et plongées dans un bain de vinaigre, pour leur consommation immédiate.

« Et n’allez pas laisser tomber de votre tabac là dedans, dit Mme Prig. Dans le gruau, l’eau d’orge, le thé de pommes, le bouillon de mouton et le reste, peu importe. Cela ne fait que donner du ton au malade. Mais moi, je ne l’aime pas.

– Betsey Prig, s’écria Mme Gamp, comment pouvez-vous parler ainsi ?

– Quoi ! est-ce que vos malades, quel que soit leur mal, n’éternuent pas toujours à se rompre la tête en reniflant votre tabac ?