Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/39

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— Oh ! je connais ça : je sais ce que c’est que tous ces versements-là.

– Ah ! vraiment ! s’écria Tigg, s’arrêtant court.

– Mais je m’en flatte. »

Tigg retourna les papiers et, se rapprochant encore de Jonas, il lui dit à l’oreille :

« Je sais bien que vous le savez : je le sais bien. Regardez-moi. »

Jonas n’avait guère l’habitude de contempler les gens en face ; mais sur cette invitation, il se dérangea un peu pour se mettre au point de vue des traits du président. Celui-ci s’adossa à son fauteuil afin de mieux poser.

– Me reconnaissez-vous ? demanda-t-il, en élevant ses sourcils. Vous rappelez-vous ? Ne m’avez-vous pas vu déjà ?

– Quand je suis entré ici, il m’a semblé, dit Jonas, le considérant, que j’avais un souvenir de vos traits ; mais je ne saurais préciser en quel lieu je vous ai vu. Non, je ne m’en souviens pas, même maintenant. Était-ce dans la rue ?

– N’était-ce pas dans le parloir de Pecksniff ? dit Tigg.

– Dans le parloir de Pecksniff ! répéta Jonas en reprenant longuement haleine. Voudriez-vous dire le jour où…

– Oui, cria Tigg ; le jour où il y eut une charmante, une délicieuse petite assemblée de famille, à laquelle vous et votre respectable père assistiez.

– Ne parlez pas de lui ! dit Jonas. Il est mort, et il ne reviendra pas.

– Il est mort ! s’écria Tigg. Quoi ! ce vénérable vieux gentleman est mort ! … Vous lui ressemblez beaucoup. »

Jonas ne reçut pas du tout ce compliment avec faveur, peut-être à cause de l’opinion particulière qu’il avait du plus ou moins d’agrément des traits de son père décédé ; peut-être aussi parce qu’il n’était pas très-flatté de découvrir que Montague et Tigg ne faisaient qu’une seule et même personne. Ce gentleman s’en aperçut, et, touchant familièrement la manche de Jonas, il l’emmena près de la fenêtre. À partir de ce moment, M. Montague déploya une verve et une gaieté remarquables.

« Me trouvez-vous métamorphosé depuis cette époque ? demanda-t-il. Parlez sincèrement. »

Jonas regarda attentivement Tigg, son gilet et ses bijoux, puis il répondit :

« Ma foi, un peu !

– Étais-je bien pané, à cette époque ? demanda Montague.