Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/393

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Partagée entre son indignation et la théière, Mme Gamp commença à saisir moins distinctement ce qu’on lui disait. Elle leva sur John un regard mouillé de larmes, et, murmurant le nom cher à son souvenir que Mme Prig avait outragé et qui était comme un talisman contre tout souci terrestre, elle parut voyager dans l’espace.

« J’espère, répéta John, que vous aurez encore le temps de trouver quelqu’un pour vous aider ?

– Le délai est court, s’écria Mme Gamp en levant ses yeux languissants et serrant le poignet de M. Westlock avec une affection maternelle. C’est demain soir, monsieur, que je vais trouver ses amis. M. Chuzzlewit m’a donné rendez-vous de neuf à dix.

– De neuf à dix, répéta John en lançant à Martin un clin d’œil significatif ; et alors M. Chuffey sera sous bonne garde, n’est-ce pas ?

– Il faut qu’il soit sous bonne garde, je vous l’assure, répliqua Mme Gamp d’un air mystérieux. Il y a d’autres personnes que moi qui se trouveront bien d’être débarrassées de Betsey Prig. Je n’étais pas sûre de cette femme. Elle aurait vendu la mèche.

– Quelle mèche ? … dit John. Vous voulez parler du vieillard ? …

– Moi ! dit Mme Gamp. Oh ! … »

À l’appui de ce que cette réponse avait d’ironique, Mme Gamp secoua lentement la tête et retroussa plus visiblement encore les coins de sa bouche. Puis elle ajouta avec une extrême dignité de manières, après avoir siroté une petite goutte :

« Mais je ne veux pas vous retenir, messieurs ; votre temps est précieux. »

Convaincue, dans l’effervescence que lui causaient ses libations, que les deux gentlemen avaient besoin de l’emmener immédiatement, mais aussi résolue sagement à ne pas leur fournir de plus amples renseignements sur le sujet qui l’avait fait divaguer, Mme Gamp se leva ; et ayant rangé la théière à sa place accoutumée, et fermé le buffet avec beaucoup de gravité, elle procéda au genre de toilette que comportait sa profession.

Ses préparatifs furent bientôt achevés : ils ne comprenaient pas autre chose que le chapeau noir saturé de tabac, le châle noir pénétré du même parfum, les socques et le parapluie, cet ustensile indispensable à son état, pour aller précipiter un décès