Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/411

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ver Jonas depuis que celui-ci avait demandé après sa femme, s’approcha tout à coup de lui.

« Rendez-la-moi ! s’écria le vieillard. Allons ! rendez-la-moi ! Dites-moi ce que vous avez fait d’elle. Vite ! Je n’ai rien promis à cet égard. Dites-moi ce que vous avez fait d’elle. »

En parlant ainsi, Chuffey saisit Jonas au collet et le serra étroitement.

« Je ne vous lâcherai pas ! … continua-t-il. Je suis assez fort pour crier et appeler les voisins, et c’est ce que je ferai si vous ne me la rendez. Rendez-la-moi ! »

Jonas fut si déconcerté, et sa conscience parlait si haut, qu’il n’eut même pas le courage de se dégager de cette étreinte débile ; et, sans remuer un doigt, il resta à regarder Chuffey autant que le lui permettaient les ténèbres. Tout ce qu’il put faire, ce fut de lui demander ce qu’il voulait.

« Je veux, dit Chuffey, savoir ce que vous avez fait d’elle ! … Si vous touchez à un cheveu de sa tête, vous m’en répondrez. Pauvre créature ! pauvre créature ! Où est-elle ?

– Vieux fou ! … dit Jonas à voix basse et la lèvre tremblante. Est-ce qu’il vous prend un transport de Bedlam[1] ?

– N’y a-t-il pas de quoi devenir fou de voir tout ce que j’ai vu dans cette maison ? s’écria Chuffey. Où est mon cher vieux maître ? Où est son fils unique, que j’ai bercé sur mes genoux quand il était enfant ? Où est-elle, celle qui est venue la dernière, celle que j’ai vue dépérir jour par jour, celle que j’ai entendue pleurer au plus fort de la nuit ? C’était la dernière, la dernière de tous mes amis. Oui, Dieu m’assiste ! c’était la dernière ! »

En remarquant les larmes qui coulaient sur le visage du vieillard, Jonas reprit assez de courage pour se dégager de l’étreinte de Chuffey et l’écarter avant de répondre :

« Est-ce que vous ne m’avez pas entendu demander où elle était ? Est-ce que vous ne m’avez pas vu envoyer à sa recherche ? Idiot que vous êtes ! Comment puis-je vous rendre ce que je n’ai pas moi-même ? Ma foi ! je vous la donnerais bien si je le pouvais, et bonsoir la compagnie ! Vous feriez à vous deux un joli couple !

– S’il lui arrive malheur, s’écria Chuffey, songez-y ! je suis vieux et faible, mais quelquefois j’ai de la mémoire… Oh ! s’il lui est arrivé malheur…

  1. Maison de fous