Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/414

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« Voilà M. Chuffey couché, dit Mme Gamp en rentrant, et puisse-t-il s’en trouver bien, monsieur Chuzzlewit ! mais si ça ne lui fait pas de bien, ça ne pourra toujours pas lui faire de mal. Ainsi rassurez-vous !

– Asseyez-vous, dit rudement Jonas, et laissons ce sujet. Où est l’autre femme ?

– L’autre personne ? … Elle est en ce moment auprès de lui.

– C’est bien. Il n’est plus en état d’être laissé seul. Tenez, ce soir il s’est élancé sur moi comme un chien furieux ; il s’est accroché à mon habit. Tout vieux qu’il est, tout débile qu’il est d’ordinaire, j’ai eu quelque peine à lui faire lâcher prise. Vous… chut ! … ce n’est rien. Vous dites que l’autre s’appelle… ? J’ai oublié son nom.

– J’ai dit Betsey Prig.

– Peut-on se fier à elle ?

– Oh ! non, dit Mme Gamp ; aussi ne l’ai-je pas amenée, monsieur Chuzzlewit. J’en ai amené une autre qui nous promet toute satisfaction.

– Son nom ? … » demanda Jonas.

Mme Gamp regarda Jonas d’une façon étrange, sans rien répondre, bien qu’elle parût avoir saisi la question.

« Son nom ? répéta Jonas.

– Son nom… dit Mme Gamp, c’est Harris. »

Ce fut avec un effort en apparence extraordinaire que Mme Gamp parvint à prononcer ce nom, qui habituellement revenait si aisément sur ses lèvres. Elle fit deux ou trois mouvements convulsifs avant de pouvoir le tirer de son gosier, et, quand elle l’eut articulé, elle appuya ses mains sur son cœur et leva les yeux, comme si elle allait s’évanouir. Mais la sachant sujette à des crises internes qui, par moments, lui rendaient indispensable une petite dose de spiritueux, et qui éclataient avec d’autant plus de violence quand ce remède ne se trouvait pas sous sa main, Jonas supposa simplement qu’elle était en butte à une de ces attaques.

« Bien ! dit-il vivement, car il se sentait incapable de fixer sur ce sujet sa pensée vagabonde. Vous vous êtes arrangée avec elle pour avoir soin de lui, n’est-ce pas ? »

Mme Gamp répondit affirmativement, et elle formula doucement sa phrase familière : « Ça sera chacune notre tour ; l’une après l’autre au poste. » Mais elle parlait d’une voix si tremblante, qu’elle se crut obligée d’ajouter, par forme d’excuse :