Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/418

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Martin lui ayant répondu de manière à l’encourager, le vieillard écouta attentivement sa voix et sourit.

« Oui, oui ! s’écria-t-il. Je reconnais sa voix quand il me parlait. Lui et moi, nous avions été à l’école ensemble. Je ne pouvais me tourner contre son fils, vous comprenez… son fils unique, monsieur Chuzzlewit !

– Plût à Dieu, dit Martin, que ce fût vous qui eussiez été son fils !

– Vous parlez tellement comme mon cher vieux maître, s’écria Chuffey avec une joie d’enfant, que je crois presque l’entendre lui-même. Je vous entends aussi bien que si c’était lui. Cela me rajeunit. Jamais il ne me parlait avec dureté, lui, et je le comprenais toujours. C’est comme pour le reconnaître, quand je le voyais, je n’y manquais jamais, quoique ma vue fût bien affaiblie. Mais ne parlons plus de cela ; il est mort, il est mort. Il était bien bon pour moi, mon cher vieux maître ! »

Il pencha tristement sa tête sur la main du frère d’Anthony. En ce moment Mark, qui était resté à regarder dehors par la fenêtre, quitta la chambre.

« Je ne pouvais pas me tourner contre son fils unique, vous concevez, répéta Chuffey, quoique bien des fois il m’en ait donné la tentation, et ce soir encore. Ah ! s’écria le vieillard, revenant tout à coup à la cause de son agitation, où est-elle ? Elle n’est pas rentrée à la maison ! …

– Voulez-vous parler de sa femme ? demanda M. Chuzzlewit.

– Oui.

– Je l’ai éloignée. Elle est sous ma sauvegarde, et la connaissance des faits qui se passent ici lui sera épargnée. Elle a subi bien assez de misère sans avoir encore ce surcroît. »

Jonas entendit cette nouvelle avec accablement. Il comprit que l’on était sur ses traces et que l’on avait résolu de le perdre. Pouce par pouce, le sol glissait sous ses pieds ; de moment en moment le cercle de ruine resserrait, resserrait plus rapidement autour de lui son centre maudit, où il allait bientôt l’étreindre et le broyer.

Et maintenant c’était la voix de son complice qui lui jetait à la face tous les détails de temps, de lieu, d’incidents, et qui sans réserve, sans réticence, sans colère, mais aussi sans pitié, proclamait ouvertement toute la vérité : la vérité, que rien ne saurait étouffer ; que le sang ne pourrait noyer ni la