Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/426

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— Qui appelez-vous votre cousin ? demanda sévèrement Martin.

– Vous, dit l’homme, vous et d’autres. »

Martin tourna vers lui son regard scrutateur. Cet individu était assis nonchalamment, à califourchon sur une chaise, les bras pendants par-dessus le dossier ; il croquait des noix et jetait les coquilles par la croisée à mesure qu’il les avait cassées, sans cesser pour cela de parler.

« Oui, dit-il, avec un geste d’humeur. Vous pouvez jusqu’à votre mort renier vos neveux ; mais Chevy Slyme n’en restera pas moins ici-bas Chevy Slyme. Peut-être pourra-t-il vous paraître peu flatteur pour vous-même de voir votre propre sang relégué dans un emploi de ce genre. Mais on peut m’en tirer.

– Toujours la même histoire ! s’écria Martin. Égoïsme ! égoïsme, égoïsme ! chacun d’eux ne pense qu’à lui.

– Alors, répliqua le neveu, vous eussiez bien mieux fait d’en épargner l’ennui à un ou deux d’entre eux, et de penser un peu à eux au lieu de ne penser qu’à vous. Regardez-moi ! pouvez-vous sans éprouver quelque honte voir sous ce costume d’officier de police un membre de votre famille, qui a plus de talent dans son petit doigt que tous les autres dans leurs caboches réunies ? J’ai pris ce parti pour vous humilier. J’étais loin de penser cependant que j’aurais à faire une arrestation dans la famille.

– Si vos déportements et ceux de vos dignes amis vous ont conduit où vous êtes, tenez-vous-y, répondit le vieillard. Vous vivez du moins honnêtement, j’espère ; et c’est déjà quelque chose.

– Ne soyez pas si dur pour mes « dignes amis, » repartit Slyme ; car ils ont été quelquefois vos bons amis aussi. N’essayez pas de dire que vous n’avez jamais employé mon ami Tigg, car je sais le contraire. Ce fut la cause de notre rupture.

– Je louais les services de ce drôle, dit M. Chuzzlewit, et je l’ai payé, nous sommes quittes.

– Vous avez bien fait de le payer, car aujourd’hui il serait trop tard pour le faire. Il a donné quittance définitive, ou plutôt on la lui a prise de force. »

Le vieux gentleman le regarda comme pour lui demander ce qu’il voulait dire, sans daigner prononcer un mot pour prolonger la conversation.

« J’avais toujours prévu, dit Slyme en tirant de sa poche une