Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/425

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— Comment en savez-vous beaucoup ?

– Ce n’est pas pour rien que je l’ai guetté si longtemps, répondit Nadgett. Jamais je n’ai guetté un homme avec autant de vigilance que celui-là. »

Encore une des formes de fantôme de cette terrible vérité ! Encore une de ces nombreuses apparences sous lesquelles elle s’élançait incessamment contre lui dans ses rêves. Cet homme qui, parmi tous les autre hommes, s’était fait son espion acharné ; cet homme qui, changeant tout à coup de nature, jetait son masque sournois, et renonçait à ses allures insouciantes et à son air hébété pour se dresser contre lui comme un ennemi vigilant ! … Le mort fût sorti de sa tombe, qu’il n’eût pas frappé Jonas de plus de stupeur et d’épouvante.

La partie était perdue. La course était terminée ; la corde était tissée pour le cou du meurtrier. Si par miracle il s’échappait de ce défilé, il n’avait qu’à se tourner d’un autre côté, n’importe où : là se lèverait devant lui un nouveau vengeur, quelque enfant qui en une heure deviendrait un vieillard, quelque vieillard qui en une heure reprendrait sa jeunesse, quelque aveugle recouvrant la vue, ou quelque sourd qui retrouverait l’ouïe. Pas une chance de salut. Il tomba tout d’un bloc à la renverse contre la muraille et, dès cet instant, il ne lui resta plus aucune espérance.

« Je ne suis pas son ami, bien que j’aie le déshonneur d’être son parent, dit M. Chuzzlewit. Vous pouvez me parler librement. Où l’avez-vous épié, et qu’avez-vous vu ?

– J’ai guetté en bien des endroits, répondit Nadgett, j’ai guetté nuit et jour. Je l’ai guetté dans ces derniers temps sans repos ni trêve. Son visage contracté et ses yeux injectés de sang confirmeraient ces paroles. Je ne me doutais guère qu’à force de guetter, j’en viendrais à cette découverte, pas plus qu’il ne s’en doutait lui-même quand il se glissa dehors une nuit, couvert des vêtements dont il fit ensuite un paquet qu’il jeta dans le fleuve, du haut du pont de Londres. »

Jonas s’agita sur le carreau, comme un homme à la torture entre les mains du bourreau. Il tenta, mais en vain, de pousser un hurlement, comme s’il avait été blessé par quelque arme cruelle ; et il se cramponna au cercle de fer qui rivait ses poignets, comme s’il avait voulu les dégager pour se déchirer de ses propres mains.

« Allons, tenez-vous, mon cousin ! dit le chef des hommes de police. Pas de violence.