Page:Dickens - Vie et aventures de Martin Chuzzlewit, 1866, tome2.djvu/433

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« Dites donc ! il prend son temps.

– Je lui ai accordé cinq minutes, dit Slyme. Mais les cinq minutes sont plus que passées. Je vais le chercher. »

En conséquence, Slyme quitta la fenêtre et alla sur la pointe du pied jusqu’à la porte vitrée. Il écouta. Pas un son ne se faisait entendre. Il approcha les chandeliers pour voir en dedans.

Il avait bien de la peine à se décider à ouvrir la porte. Enfin il prit son parti : il la lança toute grande ouverte avec fracas et recula. Après avoir hasardé un coup d’œil à l’intérieur et écouté de nouveau, il se détermina à entrer.

Slyme fit deux pas en arrière en rencontrant les yeux de Jonas qui était là tout droit contre un angle du mur, le regardant fixement, sans cravate, et le visage d’une pâleur livide.

« Vous venez trop tôt, dit Jonas avec un lâche pleurnichement. Je n’ai pas eu le temps. Je n’ai pas pu le faire… Je… Cinq minutes encore… Deux minutes encore… Une seule minute ! … »

Slyme ne répondit rien ; mais ayant remis la bourse dans la poche de Jonas, il appela ses hommes.

Jonas gémit, pleura, proféra des malédictions, supplia ses gardiens, lutta et se soumit, tout cela en même temps. Il n’avait pas la force de se tenir. Mais les hommes l’emportèrent dehors et le mirent dans le fiacre où ils l’étendirent sur une banquette, d’où il ne tarda pas à rouler en gémissant au fond de la voiture sur la paille.

Les deux agents étaient dans le fiacre avec lui ; Slyme était monté sur le siège à côté du cocher, et on avait laissé Jonas sur sa litière. En passant devant la boutique d’une fruitière dont la porte était encore ouverte, quoique les volets fussent déjà fermés, l’un des deux agents remarqua que les pêches ne sentaient pas bon.

L’autre avait commencé par être du même avis ; mais tout à coup, rempli d’alarme, il se pencha vivement pour regarder le prisonnier.

« Arrêtez la voiture ! … Il s’est empoisonné ! … L’odeur vient de ce flacon qu’il a dans la main ! »

La main serrait étroitement le flacon avec une ténacité obstinée que jamais personne, dans toute la force et l’énergie de la vie, ne saurait mettre à presser le prix de son gain.

Ils le tirèrent hors du fiacre, au milieu de la rue obscure ; mais jury, juge et bourreau ne pouvaient plus rien pour lui.

Il était mort, mort, bien mort.